Portrait de la jeune fille en feu, c’est l’histoire de trois formes de résistance féminine.
C'est l’histoire d’une sororité qui se crée dans un espace-temps restreint, où l’on peut s’affranchir des rôles et des assignations qui nous retiennent prisonnières, l’espace d’un instant, juste l’espace d’un instant. Une sororité qui naît et ne peut naître que parce que les hommes nous font, pour une fois, l’économie de leur présence. Pas parce qu’on leur refuse l’accès, non, mais parce que leur présence n’est pas essentielle au récit.
Des femmes, donc, filmées par une femme, et ça change tout.
On pense à l’entretien d’Adèle Haenel pour Médiapart ; s’il y a bien une chose que ce film réussit à merveille, c’est à faire exister nos récits, les faire entendre, les raconter, leur redonner de l’importance, une place, leur place. Les filmer, pour Sciamma, les peindre, pour Marianne. L’incarnation même du female gaze, si peu présent au cinéma, et partout ailleurs d’ailleurs. Portrait de la jeune fille en feu annihile l’idée du masculin neutre.
L’histoire d’un souvenir, aussi. Point de départ du film, puis fil conducteur à travers le mythe d’Orphée et d’Eurydice d’une part, à travers la peinture d’autre part.
L’histoire de regards. Qui emprisonnent et qui libèrent. Croisés, fuyants, appuyés, amoureux, concentrés, colériques. Héloïse doit échapper au regard pour échapper au mariage, et pourtant elle est scrutée de toute part, par Sciamma d’abord, par Marianne et son pinceau ensuite, par les spectateurices enfin.
L’histoire d’un amour dont on connaît déjà la date de péremption avant même qu’il n’ait pu commencer.
Difficile ici de ne pas faire de parallèles avec Call Me By Your Name. Ces moments de lecture à voix haute, ces regrets quant au temps perdu, ce temps qu’on aurait pu passer ensemble. Et puis ces scènes finales bien sûr, toutes deux mues par cette même idée : « ne regrette pas, souviens-toi », se traduisant par un gros plan fixe de plusieurs minutes, où les pleurs et les regrets laissent place au sourire sur les visages d’Elio et d’Héloïse.
Une histoire mise en image par une photographie digne du Caravage, portée par une bande son quasi inexistante, si ce n’est le crépitement du feu, le bruit des vagues et cette merveilleuse irruption de Para One lors de la scène la plus magistrale du film à mon sens.
Portrait de la jeune fille en feu est un film qui met en colère, car il montre tous les possibles du cinéma, dans une société où on laisserait la possibilité aux femmes de s’exprimer.
Un film merveilleux à en pleurer.