Est-il envisageable de se demander après 30 minutes de film ce que l'on peut bien faire là à observer deux femmes se questionner sur la vie et finir la projection émotionnellement démuni face à leur destin ?
Totalement. Une longue phase d'exposition pourtant nécessaire. C'est une peinture. Une toile dont les contours abstraits se devinent petit à petit, dont les détails deviennent des brides de souvenir qui hantent et dont la finalisation apparaît comme une évidence d'une rare authenticité. Si on ne tombe pas dans cette potion, il est certain que le film sera délicat à digérer. Mais la potion concoctée par Céline Sciamma à cet attrait hypnotisant qui nous pousse à succomber.
Avant toute autre chose, c'est cette authenticité qui marque les esprits. Elle s’imprègne dans chaque élément de l'oeuvre de la réalisatrice. C'est loin d'être une lubie artistique en forme de pari ou délire d'auteure pompeux, non, c'est que sans tout cela, jamais le portrait de ces jeunes filles en feu n'aurait pu être aussi déchirant. La lumière naturelle et son ambiance intimiste, la lenteur des plans et la mise en valeur des visages, l'harmonie du montage à l'image de celle des émotions, ... autant d’éléments formant un tout menant à un seul dessein. L'inéluctabilité de la situation, elle conduit les sentiments des personnages et du spectateur vers des perspectives que le cinéma avait encore rarement atteint.
Un amour viscéral et vibrant qui ne raconte que par les regards. Les gestes bien entendu jouent leur rôle, mais toujours en passant par ce regard et la passion qu'il fait naître dans l'esprit de l'autre. Deux personnages inoubliables, deux comédiennes au firmament de leur art, Adèle Haenel et Noémie Merlant. On se croirait transporter dans un jardin d'Eden où des êtres purs apprennent à se connaitre et à s'aimer, se laissant guider par la puissance incandescente de leurs sentiments. Le spectateur est dans une bulle entre réalité de l'instant et chimère d'un amour impossible. Il est égaré dans un paysage breton où le temps s'est arrêté pour laisser Héloïse et Marianne vivre une grande histoire.
Il est un autre personnage remarquable dont le temps de présence à l’écran est limité, la musique. Les notes de musique sont très rares dans Portrait de la jeune fille en feu. Cependant, la justesse avec laquelle la bande-originale est intégrée rend chaque séquence retentissante, une explosion d'émotions en tout genre à l'image de l'ambivalence relative découlant de l'évolution des sentiments des héroïnes. Paradoxal.
Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma est l'une des plus belles romances jamais portées à l'écran. Un rêve éveillé et un doux cauchemar. Une impérissable réminiscence immortalisée par la peinture et le cinéma.