Quelle audace de la part de Céline Sciamma de revenir, cinq ans après l'ultra contemporain Bande de filles (et deux précédents longs non moins urbains), avec un film romantique en costumes ! Quelle audace et surtout quelle sérénité dans la maîtrise absolue avec laquelle elle réactive avec une maturité nouvelle le schéma de Naissance des pieuvres (le trouble des premiers désirs contraints par le milieu social, trame ici couplée à une réflexion féministe sur l'art) et vient placer sa nouvelle oeuvre, en tout point admirable, sous l'influence tranquille de La leçon de piano, dont elle aurait mérité la même Palme d'or !
Ses dialogues, ciselés, allient l'élégance de la langue du XVIIIème siècle à la modernité d'un style percutant, aussi bien dans la réplique qui fait mouche que dans l'expression de sentiments délicats et précieux. Sa mise en scène, d'une grâce totale, sublime les visages et les corps en même temps que la photographie somptueuse magnifie des décors extérieurs et intérieurs d'où naît le calme ravageur s'accordant avec le bouillonnement de ses héroïnes. Son utilisation de la musique, minimaliste et sublime, est d'une efficacité exemplaire. Et son scénario, d'une intelligence folle et justement récompensé à Cannes, déroule de façon absolument hypnotique l'histoire d'amour bouleversante que l'on suit avec une intensité sans cesse grandissante - rien que le final, qui plonge presque le spectateur dans une apnée d'émotions (deux phrases, un plan fixe : magistral), s'impose d'emblée comme un nouveau monument du genre !
Ajoutons à cela l'interprétation fiévreuse et parfaite du casting et le rayonnement spectaculaire de la beauté de Noémie Merlant (la finesse de ses traits, la pureté de son grain de peau, le velouté de son regard, semblent par moments irréels), et l'on peut dire que le jour où Céline Sciamma ne réalisera pas un grand film n'est décidément pas arrivé.