Portrait de la jeune fille en feu s’ouvre sur le portrait de son peintre, regard noir et profond qui semble marqué, quelque peu désemparé par la présence de ce tableau raviveur de souvenirs, dans sa salle de classe.
Voilà comment est introduit l’histoire, celle sur laquelle nous allons vibrer et nous essouffler. C’est une grande toile vierge où le mythe d’un modèle et de sa peintre secrète se dessine à coup de regards aux couleurs enflammées.
Céline Sciamma créer une œuvre rassemblant une succession de tableaux plus beaux les uns que les autres. La photographie du film est parfaitement travaillée, pour que lorsque la caméra se pose sur un visage, les ombres de celui-ci épousent ses traits et approfondissent ses expressions.
Le détail est tel que l’on pourrait y voir des coups de pinceau.
L’histoire s’écrit au rythme du travail de l’artiste, Marianne, interprétée par la stricte et naturelle Noémie Merlant, qui se révèle auprès d’Adèle Haenel.
Héloïse, dont le rôle a été écrit pour cette dernière, est débordante d’émotions. Les expressions de l’actrice transcendent le besoin de vivre et de désirs de son personnage, malheureusement enfermé dans un futur mariage arrangé. Elle est à l’origine, un grand feu éteint qui se ravive à la rencontre de cette libre et spontanée Marianne.
Héloïse est alors découverte derrière le regard de son peintre, détail par détail, comme un artiste face à son travail. La caméra devient littéraire, filmant une gradation, on aperçoit d’abord sa silhouette, ses cheveux puis son visage. La relation entre ces deux personnages est aussi ardente que bouillonnante. Semblable à un feu que l’on attise, il devient un symbole très présent dans la plupart des scènes.
La fascination mutuelle de Marianne et d’Héloïse est palpable, l’une pour son indépendance et l’autre pour son caractère indomptable, courant vers le bord de la falaise « voilà des années que je rêve de faire ça. »
« Mourir ? »
« Courir. »
Céline Sciamma se veut attentive aux arts ; de la musique que l’on ne peut qu’écouter, car « ce n’est pas facile de raconter la musique », pouvant faire vibrer un corps, à l’écriture, au pouvoir des mots sur l’imagination narré par le mythe d’Orphée et Eurydice, qui s’annoncera finalement prophétique pour les deux jeunes amantes avec cette révélation : « Il ne fait pas le choix de l’amoureux, il fait le choix du poète ».
Comment la peinture peut-elle décrire autant que des mots, et la musique faire ressentir aussi profondément qu’un tableau.
Une intensité exaltée se dessine dans le jeu de regards des deux actrices qui suffit à illustrer leur passion et autour duquel se construit tout le Portait de la jeune fille en feu.
Cette intensité croît à mesure que Marianne et Héloïse se laissent aller à leur plus profond désir, repoussant un peu plus cette frontière à mesure qu’elles se retrouvent seules, loin de toute société et de tout jugement.
C’est par ces fins détails que le film évoque un siècle de changement : la peintre femme qui devient connue et reconnue, les classes sociales qui s’effacent à l’absence de la matriarche.
La domestique, Sophie, devient alors une couleur de plus au tableau, agrandissant le lien entre les deux amoureuses.
Ainsi, Marianne, Héloïse et Sophie vont partager des expériences d’où vont naître un besoin, une nécessité de les projeter sur une toile.
Tous ces sentiments restés internes se déploient à l’écoute du chant des servantes, faisant exploser toutes ces émotions jusqu’à incendier le regard des deux protagonistes : la véritable nature de leur relation apparait, donnant vie à cette jeune fille en feu.
Le film prend la forme d’une litote où l’on suggère beaucoup plus que l’on dit. Mais les mots échangés viennent résonner à nos oreilles comme une musique ardente. Les dialogues sont intelligents, empreints d’une poésie philosophique, ils viennent décrire le monde dans lequel évolue chaque personnage ; « être libre, c’est être seule ? ».
C’est par tous ces aspects que Portrait de la jeune fille en feu s’inscrit dans les plus grands tableaux du cinéma.