Quand le producteur Frédéric Fougea découvre le drôlatique roman Pourquoi J'Ai Mangé Mon Père du Britannique Roy Lewis, il se met en tête de l'adapter sur grand écran et prend le risque financier d'en acheter lui-même les droits. Nous sommes ici en 1989 et Fougea devra patienter durant 26 ans pour que le projet de sa vie se concrétise enfin et constater avec effroi le ratage de l'entreprise.
Avec Astérix Aux Jeux Olympiques, Cinéman ou encore Astérix & Obélix : L'Empire Du Milieu, le studio Pathé semble être devenu le spécialiste du nanar de luxe à la française. Pourquoi J'ai Pas Mangé Mon Père ajoute incontestablement sa pierre à l'édifice sous la houlette de Jamel Debbouze, aussi heureux d'être nommé à la tête de cette ambitieuse proposition qu'absent sur le plateau de par la multitude de projets qui l'accapare. D'abord doté d'un budget de 23 millions €, Pathé devra en ajouter 27 pour que le film puisse être finalisé. Au final, 50 millions € investis pour un tel gâchis fait peine à voir et c'est Fougea (car il en faut un) qui servira malheureusement de bouc émissaire face à un tel désastre artistique.
D'abord contacté pour être la "voix" du personnage central, Debbouze prend l'initiative de réécrire le scénario à sa manière, en apportant plus de fougue, de gags et d'absurdité à un script qu'il juge trop "intello" pour son public. Jérôme Seydoux, à la tête du studio et séduit par le côté bankable de l'humoriste, lui propose alors de réaliser le métrage en échange d'un très confortable salaire. N'y connaissant strictement rien en animation et en motion capture, Debbouze accepte néanmoins le poste avec plaisir et s'attèle dès lors à modeler les équipes à sa charge.
Face à l'incompétence du "réalisateur" et à son énergie déployée à brasser du vent, les responsables de l'animation essaient de temporiser et de lui faire admettre que le script ne convient absolument pas à leur travail. De plus, le bruit court dans les couloirs que les personnages sont creux, insipides, voire incohérents pour certains et qu'il est nécessaire de peaufiner l'écriture. Mais Debbouze, lui, n'entend rien. Il veut faire joujou avec les millions que le studio lui alloue, rendre hommage à Louis de Funès, imposer sa journaliste d'épouse pour le premier rôle féminin et obtenir les exorbitants droits d'hymnes soul et funk en guise de B.O.
Responsable de l'une des équipes de storyboard, le talentueux Rémi Chayé constate l'absurdité du projet de par les fréquentes absences du metteur en scène et de l'impossible cohabitation entre la team représentée par Debbouze et celle de l'animation campée par le reste des équipes. "On allait droit dans le mur. On prévenait. On a été un certain nombre à gueuler. Mais comme Jamel était une star, personne n'osait lui dire que c’était n’importe quoi." précise le dessinateur.
Jamel Debbouze travaille néanmoins comme un dératé sur le projet qui lui tient réellement à cœur. Sauf que sa vision humoristique, fraîche et imparable à l'époque de la célèbre sitcom H et du Astérix de Chabat, a pris un sérieux coup de vieux et n'évolue pas d'un chouia. Totalement inconscient de cette réalité, il accumule les mauvaises idées en engageant l'un des fils de Louis de Funès qui va véritablement affliger les équipes de par sa mégalomanie et ses choix artistiques caricaturaux. Et lorsque Pathé donne le feu vert pour entamer le tournage, la situation s’envenime dans les coulisses de l’animation et de la fabrication des personnages qui manquent indéniablement de substance et de corps. Debbouze n'ayant pas l’habitude de parler à des animateurs, ces derniers se voient indirectement confrontés à des propositions impossibles à réaliser et manquent indéniablement de temps (et de motivation) pour parfaire les idées loufoques du metteur en scène improvisé.
Face au design final du métrage, Frédéric Fougea lâchera un pertinent "Ça fait un peu SF tchécoslovaque des années 1970 !". Ce à quoi Debbouze finira par avouer son amertume d'avoir accepté de gérer une telle superproduction sans en avoir les compétences. Les avants-premières sont par ailleurs catastrophiques face à un public qui ne rit pas et s'ennuie. L’œuvre fit un flop critique et public en France et eut énormément de mal à s'exporter à l'étranger où Jamel Debbouze est bien peu connu. Depuis, ce dernier multiplie les déconvenues avec de mauvais choix artistiques et des one-man-show totalement ratés. C'est bien connu, les colosses ont toujours eu des pieds d'argile.