Prisoners parvient à se faire une place de choix dans le paysage cinématographique pourtant chargé de ce mois d’octobre. Denis Villeneuve, dont on retient le très acclamé Incendies, livre un thriller intense et sans concession, brillamment interprété par Hugh Jackman et Jake Gyllenhaal.
Cela fait si longtemps que Hugh Jackman porte l’étiquette d’un Wolverine bourru et taciturne que l’on a peine à l’imaginer dans un autre rôle. Et pourtant, son incarnation de Keller Dover, un homme confronté à la disparition de sa fille, permet de redécouvrir cet acteur, et à quel point il peut se dépasser lorsque son rôle lui en offre l’occasion. Villeneuve s’épargne l’aspect mélodramatique qui aurait pu plomber son sujet, et façonne des personnages imparfaits, hantés par leur passé, pétris de colère, animés par leur désir de vengeance ou sombrant dans l’atonie la plus totale. Face au père de famille impulsif prêt au pire pour retrouver son enfant, Jake Gyllenhaal confère à l’inspecteur Loki toute la sensibilité nécessaire pour contrebalancer la folie dont cette petite banlieue de Boston est l’amer témoin. Étrangement tourmenté, il semble combattre ses failles personnelles dont nous ne savons absolument rien, tout en menant l’enquête avec intelligence, pris en étau entre une hiérarchie de mauvaise foi et deux familles que le désespoir pousse à bout.
Sombre, parfois violent, Prisoners ne cache pas ses inspirations, parmi lesquelles on retrouvera notamment Mystic River, Zodiac ou encore Le silence des agneaux. Loin de se contenter d’un vague plagiat, le film crée une véritable intensité poétique chargée de tensions, parfois à la limite du malaise. Villeneuve semble aimer explorer la frontière séparant les actions animées par une bonne intention – retrouver un enfant en danger de mort – de l’irréparable, poussant sa démonstration jusqu’à l’horreur absolue. La fin justifie-t-elle les moyens ? C’est avec un Hugh Jackman effrayant, et presque touchant dans sa démesure, que nous nous laissons entraîner sur cette dangereuse voie. Notons également la performance édifiante de Paul Dano en suspect complètement névrosé : l’épineuse question de son éventuelle culpabilité est un des points névralgiques de la tension qui ravagera le spectateur, maintenant le personnage dans une dualité permanente, entre marthyr et persécuteur.
Prisoners peut donc devenir éprouvant, bien que sa longueur ne le pénalise en aucun cas. On regrette simplement que les circonvolutions de l’intrigue, pourtant esquissées, ne soient pas explorées avec plus de profondeur avec le potentiel d’un véritable puzzle à résoudre, mais la richesse de l’univers et des protagonistes créés en deux heures trente compense largement cette petite faiblesse. Villeneuve capture avec précision la pesante atmosphère de son récit, sans presser l’intrigue ni la surcharger d’adrénaline, distillant l’action avec un naturel efficace. Sous ses airs de drame mélancolique lavé de pluies automnales, Prisoners se mesure aux meilleurs thrillers de ces dernières années.