Nouveau Zodiac, nouveau Seven, nouveau Mystic River, un paquet de qualificatifs honorables ont été utilisés pour décrire Prisoners et c'est donc avec joie et une certaine appréhension que j'abordais cette séance. Inutile de tourner autour du pot, je ne suis certainement pas ressorti déçu et même si la perfection est loin il est bon de tomber sur ce genre de production pleine de maitrise.
J'ai vu un certain nombre de personnes remettre en cause l'histoire, la façon dont tout cela avait été ficelé par l'équipe du film, personnellement, mis à part la dernière demi heure qui tombe un peu à plat, j'ai beaucoup apprécié le scénario, on évite la surenchère en nous vendant des personnages (notamment l'enquêteur) trop parfait qui relie tout les éléments entre eux sans qu'on sache trop comment. On a pas mal d'éléments annexes qui s'imbriquent difficilement et qui oblige à émettre des hypothèses, on est toujours dans le doute, on vit la détresse du père face à cette incapacité à découvrir la vérité et c'est ce qui crée cette tension psychologique. L’enquête part dans tout les sens, on a tellement d'éléments qui pourrait potentiellement impliquer tellement de monde qu'on nage en plein brouillard. C'est autant à nous de nous faire notre avis qu'à ce père et à ce flic qui lui même se retrouve perdu, ne sait jamais où il va.
Toutefois qu'on ne s'y trompe pas, avant d'être une enquête ou un film policier, ce film traite surtout de l'humain, de ce qu'on peut faire et de ce qu'on est prêt à faire lorsqu'on est dos au mur, c'est l'histoire d'une descente aux enfers de monsieur tout le monde qui devient un "démon" (pour reprendre les termes du film) parce que sa colère et son chagrin prenne le dessus. Un homme qui perd doucement les pédales et en arrive à de tels extrémités qu'il nous renvoi à nos propres doutes, qu'aurions nous fait à sa place ? Malgré ce que Jackman fait, il est difficile pour le spectateur de le voir comme un monstre. On aborde des thèmes sensibles, qu'est ce qui sépare la justice de la vengeance ? Jusqu'où peut on aller pour protéger ceux qu'on aime ? Et la réponse du film est pleine de noirceur et de pessimisme.
Mais la force du film vient aussi de cette réalisation léchée de Villeneuve qui opte là pour quelque chose de supra-réaliste, qui donne vie à son tons de gris à travers sa photographie maitrisée de bout en bout. Tout est très propre, très lisible, mais les scènes d'action ne tombent pas dans le grandiloquent, la caméra se pose, le cadre est idéal, presque naturel, on nous épargne les quelques effets habituels de réalisateurs qui doivent couvrir leur incompétence. Villeneuve laisse place à la pluie et à la neige en fond pour installer cette atmosphère lugubre et oppressante. Autre force, la direction d'acteur qui ne laisse rien au hasard, de Jackman à sa prestation certes oscarisable (bien qu'à mon goût ce ne soit pas toujours un défaut) en passant par Gyllenhaal tout en retenu qui crève l'écran par son jeu épuré. Même les seconds rôles bien que délaissés s'en sortent avec honneur.
Prisoners est donc certes doté de certains défauts qui l'empêche d'être parmi les plus grands films de l'année mais possède un savoir faire artistique impressionnant (la photographie notamment encore une fois, la photographie...) au service d'une histoire prenante et riche qui n'hésite pas à aborder des thèmes "glissants" sans verser dans le manichéisme qui peut se reposer sur des personnages à l'écriture suffisamment affinée pour leur offrir de la contenance.