Psycho, de Gus Van Sant est en tout premier lieu une expérience : celle d'une revisite du chef d'œuvre d'Hitchcock, et une "reproduction" quasiment trait pour trait de cette dernière. Mais Psycho est également - et surtout - une œuvre libératrice. Plus qu'un hommage au grand réalisateur qu'était Alfred Hitchcock, elle offre un nouveau souffle et donc une nouvelle portée à son œuvre. Dégagée de toute censure, Psychose s'émancipe des interdits et des impossibles, et s'ouvre à une vision bien plus directe des notions qu'elle aborde. Dès le premier plan, une vue aérienne de la ville de Phœnix, Gus Van Sant accède à la volonté d'Hitchcock en filmant la scène non à partir du toit d'un immeuble, mais - grâce aux avancées techniques connues depuis le tournage de Psychose - en observant un véritable cheminement aérien entre deux hautes tours de la ville, jusqu'à la chambre d'hôtel où le couple de Marion et Sam se prélasse dans un lit aux draps défaits. Quantité d'autres plans ou séquences de ce type se reproduisent dans le film, mêlant à la fois progrès technique et possibilités de visuel. La célèbre scène de la douche par exemple, montrera davantage le sang et les blessures mortelles dans le film de Van Sant que dans l'original d'Hitchcock. Dans la même idée, le réalisateur du remake montrera un Norman Bates beaucoup plus pervers , notamment lorsqu'il lorgne par le trou du mur la malheureuse héroïne se dévêtant. Pour autant, la présence de tels éléments produit-elle plus d'émotion chez le spectateur ? Cette réflexion amène logiquement à aborder les conséquences des privations techniques et visuelles connues par Hitchcock.
La question d'une éventuelle nécessité de la censure et du "frein technique" est relativement intéressante à poser dans une telle œuvre. Psychose aurait-elle été la même si son réalisateur avait pu s'émanciper de tant d'obstacles ? Sans remettre en cause les capacités de réalisation d'Hitchcock, il semble juste de s'interroger sur les bénéfices possibles pouvant être apportés par la privation. Ce phénomène conduit logiquement l'équipe à une réflexion poussée au sujet des éléments "problématiques" afin d'obtenir le résultat souhaité dans l'idéal. Les films les plus réussis sous l'application du Code Hays sont ceux dont les réalisateurs parvenaient à suggérer ou à montrer indirectement les éléments interdits. L'un des plus beaux exemples de ces diversions est visible dans Trouble in Paradise, de Lubitsch, où un couple est représenté dans un lit par le biais d'un jeu d'ombre. Soumis à ces interdits, le scénario de Psychose a donc dû être modelé pour en tirer le meilleur tout en se passant des éléments explicites. C'est là toute la force du film, qui ne se concentre plus que sur son montage et sa technique, comme le précisera d'ailleurs son réalisateur*.
Revenons au remake réalisé par Gus Van Sant en 1998, libéré du Code Hays et davantage financé. On y retrouve l'utilisation quasi-systématique - mais non contestable - de la Steadycam et de ses amples et fluides mouvements, mais également quelques prises de liberté à caractère érotique : les deux plans intercalés lors du meurtre du détective Arbogast - dont l'un présente une femme blonde presque nue, aux yeux recouverts d'un loup noir en tissus à dentelles -, ou le caractère de Norman Bates à la perversion démultipliée, comme jouissant à la disparition du corps de Marion dans le marais.
Là où la mise en scène de Van Sant s'éloigne quelque peu de celle d'Hitchcock, c'est précisément sur la psychologie du personnage principal. Dans sa réinterprétation de Psycho - qui n'en n'est pas véritablement une - Vans Sant dote ses personnages d'un charisme peu existant dans l'œuvre d'Hitchcock : Norman Bates est effacé, presque timide, et relativement peu expressif dans le Psychose originel. Rien en lui ne pousse à le soupçonner. Chez Gus Van Sant, Vince Vaughn incarne un homme plus immature face au spectateur, plus mou et moins compulsif, se trahissant bien souvent par des mimiques assez explicites. Pour autant, face aux autres protagonistes, il se dévêt de cette personnalité puérile, et incarne un jeune homme actif et isolé.
Dans l'œuvre d'Hitchcock, l'utilisation - certes économique - du Noir & Blanc avait également une portée bien plus symbolique, au-delà de la sempiternelle dualité des deux couleurs opposées, c'était un moyen d'apporter une touche supplémentaire de terreur, de faire évoluer chaque personnage dans un recoin mal éclairé, pour enfin les faire se rencontrer dans la blancheur éclatante d'une salle de bain. La couleur de Gus Van Sant est alors difficilement envisageable, l'obscurité étant bien moins retranscrite notamment lors de la fuite de Marion sur les longues routes américaines.
Loin d'échouer à la difficile entreprise du "Maître", Gus Van Sant la replace au-devant de la scène, et lui offre une nouvelle vie. Il est cependant regrettable de ne pas retrouver "l'atmosphère" brillamment mise en place par Hitchcock. C'est en pleine lumière qu'ont lieu les homicides de Marion et Arbogast, et c'est sous un ciel dégagé que les corps disparaissent dans les eaux boueuses du marais.
* "Dans Psychose, le sujet m'importe peu, les personnages m'importent peu, ce qui m'importe, c'est que l'assemblage des morceaux de film, la photographie, la bande sonore, et tout ce qui est purement technique pouvaient faire hurler le public." Hitchcock/Truffaut (Gallimard, 1993).