Adaptation de Bd du même nom, Bertrand Tavernier s'offre ici sa première véritable comédie. Il s'était déjà frotté un peu au genre par moments dans des films comme Que la fête commence ou La fille de d'Artagnan, mais jamais aussi frontalement que dans celui-ci.
Je connaissais un peu le livre, qui est une retranscription de l'auteur lorsqu'il fut au ministère de l'intérieur, et sous l'égide de Dominique de Villepin. Le film y est assez fidèle avec ce personnage de Alexandre Taillard de Worms complètement survolté, qu'incarne avec génie Thierry Lhermitte. J'avais l'impression qu'il avait disparu dans des comédies poussives, mais avec Une affaire privée, c'est un rôle qui le place dans les sommets.
A la fois toujours furibond et une boule d'énergie que rien ne semble contenir, il joue avec élégance de sa classe et avec de très belles scènes dialoguées qui montrent qu'il a tout à fait l'allure du Ministre que l'on voyait dans la BD. L'idée de génie de Tavernier est, pour montrer sa vivacité, un running gag très drôle où, à chaque fois qu'il ouvre une porte, il le fait violemment et fait voler des feuilles autour de lui.
Il y aussi l'excellent Niels Arestrup, qui incarne son conseiller et homme à tout faire, qui est également très drôle, car il a une allure bonhomme et donne l'impression d'avoir toujours vécu à son bureau (il sera surpris plusieurs fois à y dormir la bouche ouverte).
Raphael Personnaz, qui incarne le jeune scribe, préposé au langage, est lui aussi très bon, car il est le candide de l'histoire et tombe sans arrêt de Charybde en Scylla devant ses conditions de travail presque inhumaines, et est comme nous ; halluciné devant ce foutoir qu'a l'air d'être ce ministère.
On y trouve aussi Julie Gayet, Thierry Frémont, Jane Birkin (pour une courte scène, mais elle aussi marrante) et Anaïs Desmoustier, qui joue la fiancée du personnage principal, et qui représente selon moi une des faiblesses du film.
Elle joue en quelque sorte la partie sociale du film, car elle est une institutrice engagée qui va demander à son copain, donc au ministère, d'éviter l'expulsion d'une famille de sans-papiers dont le petit est à son école. Le film n'avait pas besoin de greffer une telle histoire, la personnalité d' Alexandre Taillard de Worms étant largement suffisante pour couvrir les presque deux heures de film.
Il faut dire que ce dernier emporte tout dans l'histoire. Il déclame sans arrêt des proverbes (dont on en voit certains via des intertitres), ne supporte pas que l'on commence ses phrases par "Autant..." (auquel il répond par "...par le vent !"), déteste perdre son temps, et surtout, a une manie de tout surligner avec ses stabilos, scène très drôle où on voit qu'il en a une dizaine dans son bureau !
Tout cela en devant préparer une déclaration au siège de l'ONU, et éviter une catastrophe maritime dans un pays imaginaire, car, excepté les États-Unis, tous les noms entendus dans le film sont fictifs, mais il n'est pas difficile de savoir leurs vrais noms.
Réalisé de main de maitre (avec des travellings arrières qui rappellent Kubrick dans ces couloirs du ministère qui sont tels des labyrinthes), et une photo magnifique, c'est la preuve par A+B que la comédie à la française peut donner de très bons résultats. Quelque part, cette vivacité et cette rapidité rappellent Le loup de Wolf Street, le sexe et la drogue en moins.
Bertrand Tavernier est, à mes yeux, un réalisateur avec une filmographie quasi-irréprochable, touche-à-tout, et il inscrit une nouvelle réussite à son palmarès.