Révision du 28/11/2022
Le film de Clouzot s'inspire d'un roman "Légitime défense" de Steeman, rebaptisé ultérieurement "Quai des orfèvres". Autant surfer sur la bonne vague car, pour tout dire, le scénario s'écarte très sensiblement du film. Les noms de personnages sont modifiés et l'intrigue assez différente…
La tonalité du film y est aussi différente. Et je préfère de loin celle du film. Je me souviens, après avoir été transporté par le film que j'avais probablement vu à la télé, avoir été très déçu par le roman où j'espérais retrouver la truculence des personnages …
Le film est construit en deux parties distinctes. La première fois qu'on voit le film, on est intrigué car on est dans une espèce de vaudeville dans le milieu du music-hall dont l'atmosphère est à la fois électrique et enjouée. On se demande bien quel est le rapport avec "le quai des orfèvres". On finit même par oublier que l'affiche annonçait "Jouvet". Puis brusquement, comme une star qui se laisse désirer, Jouvet apparaît, en pleine nuit, en pyjama, en train de se gratter la tête pour essayer de résoudre le problème de géométrie de son fils. Je ne serais pas loin de dire "génial" …
Belle entrée en scène de l'inspecteur du "quai" qui ne cessera pas de se transformer d'un flic plus ou moins raté (il vient des "colonies", a raté le concours de commissaire et est désabusé) en un flic pointu et retors. Mais c'est aussi un flic qui conserve un caractère humain même s'il s'en défend derrière une façade qui ne trompe personne pour justifier la présence de son gosse, métis, qu'il adore : "la seule chose que j'ai ramenée des colonies avec le paludisme".
Lorsque Suzy Delair lui crache son mépris pour le métier de flic tout juste bon à emmerder les gens honnêtes, Jouvet comprend la réaction, ne la rejette pas mais lui met sous les yeux un journal qui parle du meurtre récent d'un de ses collègues, père de famille, lui clouant le bec.
Louis Jouvet est particulièrement bien servi par les seconds rôles avec un Bernard Blier qui tient le rôle d'un mari, brave homme mais jaloux, qui a du mal à supporter tous ces gens qui tournent autour de sa femme avec des promesses de contrats mirobolants jamais gratuites.
Suzy Delair dans un rôle de chanteuse de music-hall avec des chansons lestes "avec mon petit tralala" est excellente en femme toujours à la recherche du grand succès qui la fait flirter avec le feu ; je trouve d'ailleurs sa voix plutôt belle et bien placée sauf quand elle tente de "monter". Le problème est qu'elle réussit techniquement à monter mais c'est moins beau …
J'aime beaucoup Simone Renant émouvante dans son beau rôle d'amie du couple Bernard Blier / Suzy Delair avec son personnage d'ange gardien.
Et puis aussi ces acteurs, excellents, de cette époque comme Pierre Larquey en chauffeur de taxi, l'inénarrable Jeanne Fusier-Gir en dame du vestiaire qui brûle de faire l'intéressante auprès de Jouvet ou encore un surprenant Robert Dalban en voyou.
Au final, c'est un film policier noir comme je les aime. Qui me rappellerait certains polars de Fritz Lang. On est rendu solidaire de Bernard Blier, qui semble voué à n'avoir que des emmerdes. On est ému par Simone Renant. On est fasciné par un Jouvet impérial. On tremble que la main de la justice ne frappe injustement ou trop fort.
Et à la fin, on respire avec un Jouvet qui est encore une fois déçu :
"On croit que ça va être une belle affaire et ça finit comme d’habitude, en pipi de chat".