Troisième long-métrage d'Henri-Georges Clouzot sorti en 1947, "Quai des orfèvres" marque la fin de la "suspension" du cinéaste français (au motif d'avoir travaillé pour la Continental durant l'Occupation). Après "L'assassin habite au 21", il s'agit à nouveau d'une adaptation du romancier belge Stanislas-André Steeman, qui semble avoir inspiré Clouzot à ses débuts.
On pourra déplorer une structure narrative légèrement bancale, le film se divisant en deux parties distinctes :
- La première, qui se déroule dans le milieu du music-hall, faisant la part belle à Suzy Delair (muse et compagne de Clouzot à l'époque) et son "p'tit tralala", présente les protagonistes et pose les jalons du drame à venir, tout en esquissant le portrait des classes populaires parisiennes.
- Une fois le meurtre commis, alors qu'on commence à se demander la raison du titre "Quai des orfèvres", la seconde partie voit enfin apparaître l'inspecteur Antoine, alias Louis Jouvet, et le film investit alors les célèbres locaux du 36.
A partir de là, on assiste au show Jouvet, qui incarne avec autant de cynisme que d'humanité ce flic atypique, tellement différent de Pierre Fresnay, héros précédent de Clouzot dans ses deux premiers films.
Le cinéaste nous offre cette fois encore une mise en scène inspirée et des dialogues aux petits oignons, d'une modernité ébouriffante, à l'image du ton adulte et sans fard avec lequel sont abordés les questions liées au sexe : on croise ainsi un vieux satyre, une photographe lesbienne, une chanteuse arriviste qui n'hésite pas à jouer de ses charmes, sans parler du père célibataire qui élève seul un enfant métis... Pas banal dans la société française de l'immédiate après-guerre!
Seuls l'aspect légèrement caricatural de la relation Blier - Delair et la résolution de l'intrigue policière, un peu faible, viennent atténuer légèrement mon enthousiasme pour cette nouvelle réussite remarquable de Clouzot. Ce dernier ausculte toujours l'humanité avec autant d'acuité, mais légèrement plus d'optimisme, du moins en surface.
"Quai des orfèvres" s'achève en effet sur un happy end, et comme le récit se déroule durant la période de Noël, dans l'univers festif du music-hall, le film bénéficie d'une aura de feel good movie, que l'on regarde avec le cœur léger.