Attention : cette critique contient plusieurs éléments qui dévoilent certains aspects de l'intrigue
Depuis 1953, la mort de Staline, le cinéma soviétique laisse une petite place à un certain renouveau où le cinéaste peut esquiver les contraintes politiques et les chemins balisés de la propagande.
C'est le cas de "Quand passent les cigognes" qui ne s'intéresse qu'à une histoire d'amour entre Boris et Veronika interrompue par l'entrée en guerre de l'URSS en 1941. Au départ de Boris qui s'engage comme volontaire, Veronika va vivre une lente descente aux enfers entre désespoir et remords.
Mais, quand même, au-delà de l'histoire d'amour, bien des choses apparaissent qui me semblent plutôt novatrices pour l'époque. Bien sûr, Boris travaille en usine et a à cœur que l'usine prospère, un petit buste de Lénine trône sur son bureau chez lui. Boris n'hésite pas à se porter volontaire ainsi que de nombreux autres jeunes gens pour le front dès que la patrie est attaquée par les armées nazies. Mais à côté de ça, le cousin de Boris, Marc, pianiste, beau parleur et veule, n'hésite pas faire jouer les relations pour obtenir une dispense et être planqué à l'arrière. Ainsi, même au pays des soviets, il y a aussi des gens qui profitent, magouillent et ont un comportement "asocial". Surtout, plusieurs personnages ont un comportement individualiste et non stéréotypé.
Mais ce qui frappe dans ce film et le rend inoubliable, c'est la technique employée au niveau de la mise en scène et au service de l'émotion.
La scène de l'escalier tournant, au début du film, où Boris tente de rejoindre Veronika pour lui arracher une promesse de rendez-vous. La (les) caméra (s) suit parfaitement les mouvements des deux acteurs dans l'escalier. J'ai lu que la caméra était installée sur une nacelle au centre de l'escalier permettant des mouvements ascendants, descendants et tournants sur 360°.
Et surtout la scène terrible, magnifique et onirique, que je revois toujours avec la même émotion, où Boris, frappé par une balle, tombe en tournoyant lentement au milieu des bouleaux alors que, dans la cime des arbres, apparait la scène de son mariage avec Veronika qui ne pourra plus avoir lieu.
Reste à parler de l'actrice qui crève l'écran dans ce film, Tatiana Samoïlova dans le rôle de Veronika.
Que ce soit dans la scène où Veronika court désespérément dans la foule pour voir une dernière fois Boris avant son départ pour le front ou celle où Veronika court, tout aussi désespérément, dans la foule à l'arrivée des soldats à la fin de la guerre, on reçoit en pleine face l'angoisse et l'espoir qui l'animent.
Et je ne parle pas de la scène où elle sauve un petit bambin en se sauvant elle-même. Et Kalatazov place l'émotion à son maxi d'intensité quand Veronika (et le spectateur !) découvre que le petit s'appelle… Boris.
Film remarquable par sa mise en scène et par l'intensité dramatique du jeu de Tatiana Samoïlova.