Western étrange que "Quarante tueurs" …
Ça commence par une scène d'anthologie complétement démente.
Un chariot écrasé par le ciel très nuageux s'avance tranquillement sur une piste dans un paysage de collines. Trois hommes fatigués par leur long périple se prélassent dans le chariot. Soudain, un bruit au loin grandit jusqu'à se traduire par l'arrivée tonitruante d'une cavalière vêtue de noir sur un cheval blanc suivie d'une troupe interminable de cavaliers qui contournent le chariot dont les chevaux hennissent de peur, difficilement maîtrisés par le conducteur. Puis un travelling latéral montre cette troupe de cavaliers poursuivre sa chevauchée au loin sans ralentir tandis que les trois hommes sur leur chariot respirent de soulagement après le passage de la tornade (féminine et cavalière).
La scène donne le ton au western : il y sera question d'une femme, Jessica, qui dirige avec une poigne de fer une troupe de quarante hors-la-loi qui la suivent partout. Elle terrorise la ville de Tumbstone et en particulier son shérif.
Face à elle et à son jeune frère écervelé, Brockie, qu'elle couve et réprimande comme une mère, il n'y aura guère que les trois personnages du chariot qui sont un marshall fédéral, Griff et ses deux frères Wes et Chico.
Tout tourne autour du personnage de Jessica, la femme que "tout le monde désire mais qui ne se laisse jamais dompter".
She's a woman that all men desire
But, there's no man can tame her
That's why they name her the high-ridin' woman with a whip
Il y a très certainement une évidente connotation sexuelle suggérée à l'ensemble du film et à la personnalité de Jessica qui ferait penser au personnage de "la mégère apprivoisée" de Shakespeare. Ne serait-ce que la présence de ces quarante mâles, amants potentiels, amants disponibles, en bref, le harem de Jessica …
Sans vouloir dévoiler l'intrigue (fort mince au demeurant …), on ne s'étonnera pas que le personnage du marshall, Griff, qui n'est jamais qu'un tueur mais du bon côté de la loi, va prendre une importance grandissante chez Jessica.
Cette importance va devenir telle qu'il leur faudra une scène de grande violence (symbolique) où Jessica et Griff vont se trouver aux prises avec une tornade (météorologique, cette fois…) qu'ils vont vaincre ensemble. La photographie est alors sensationnelle puisqu'un jeu d'ombres emprisonne Grif tandis que Jessica reste à la lumière jusqu'à ce qu'elle se rapproche de Griff et se trouve "emprisonnée" à son tour avec lui …
Encore une fois, ce satané code Hayes, décrié par tout le monde, fait merveille car nécessite tout le talent du cinéaste pour signifier une scène amoureuse (un combat amoureux) sans qu'un esprit retors puisse s'en douter ou s'en offusquer …
Bien sûr, ce n'est pas tout-à-fait n'importe quelle actrice qui assure le rôle de Jessica. Il fallait une belle femme, une femme d'expérience, une forte personnalité, une femme d'expression mais aussi une femme capable de passion … Barbara Stanwick, la valeur sûre d'Hollywood était forcément un bon choix. Et on remarquera qu'aucun rôle d'homme n'est tenu par une star …
Même si
You may find that the woman with a whip
Is only a woman, after all
Only a woman, after all
Only a woman, after all
Au final, "Quarante tueurs" est un film remarquable, étrange et original. Avec une mise en scène très technique et très réussie de Samuel Fuller. Même si, je le confesse humblement, je ne raffole pas plus que ça de ce western.