Film brillant, tout y est beau, délicieux, le cadre, les couleurs, les actrices, l'attention étrangement insistante portée aux visages, la musique, les effets de montage où deux temps s'entrelacent... Queen of earth joue l'intime sur le mode horrifique : quelque chose vacille d'abord, les premières minutes nous plongent dans le doute, la suspicion, puis très vite il n'y a plus à douter, car tout cela va très mal se finir, assurément.
Pourtant, ça ne marche pas. Le film semble vite écrit. Les idées viennent, nombreuses, parfois intéressantes, mais ne sont reliées à rien. La musique omniprésente surjoue l'inquiétude. Aucune scène ne parvient à éclore, dans ce qui ressemble pourtant à un hommage à Cassavetes, roi des glissements internes et des situations dangereuses, où la tension monte et descend à toute allure. C'est-à-dire qu'on n'y croit pas : les deux héroïnes du film sont censées être amies, elles passent leur temps à se dire des horreurs et à faire comme si rien ne s'était passé. Ce culte du non-dit (ou plutôt du dit-non-éprouvé) a quelque chose de très américain à mon sens (comme s'il s'agissait d'une maladie propre à ce pays) : la négativité y est si fortement réprouvée, que dès lors qu'elle surgit, elle est prise pour un geste artistique. Quand quelqu'un dit à quelqu'un d'autre : je te déteste, on a l'impression que tout est dit (Bergman faisant caution).
Il y a pourtant dans le film une dimension métaphorique qui est assez intéressante : ces deux femmes qui se retrouvent dans une maison près d'un lac sont toutes deux filles de personnes puissantes mais disparues ou absentes. Le vocabulaire qu'on emploie pour parler de leurs familles est assez éloquent : bulle, explosion, dépression ; tout un champ lexical financier qui porte à croire que nous sommes en présence, non tout à fait de personnages, mais plutôt de symptômes post-2008. Ca n'en fait pas pour autant un film incarné.