En 1981, Milos Forman nous a concocté une grande fresque des Etats-Unis au début du XXème. Plus exactement, de la vie à New York et de ses environs. Un portrait au vitriol de la société américaine livré par l'ancien tchèque réfugié aux USA après le printemps de Prague.
Qu'on en juge, Forman mêle les destins de gens ou de familles qui ne sont pas appelées, a priori, à se rencontrer. Gens ou famille qui auront affaire à une justice discriminante entre riches et pauvres, entre noirs et blancs.
Ce n'est pas étonnant qu'en 1981, le film n'ait guère rencontré de succès. Ce n'est jamais plaisant de découvrir pour un américain que son pays, alors en plein boom économique, n'a pas toujours eu le passé le plus admirable. Ce n'est jamais plaisant qu'on vous rappelle que, même en 198, la justice est toujours à plusieurs vitesses.
En poursuivant sur la même lancée, je dois dire que certains portraits de personnages sont particulièrement bien croqués. D'autant que le film mêle adroitement certains faits historiques avec les personnages fictifs du cœur du scénario. Comme, par exemple, l'assassinat de l'architecte Stanford White par le milliardaire jaloux Thaw et le procès à grand spectacle qui s'en suivit, la vie d'une danseuse Evelyn Nesbit qui connut un grand succès. Les personnages fictifs comme la famille d'industriels et de juristes ou, bien entendu, le pianiste de ragtime Coalhouse Walker Jr se trouvent être des témoins actifs des évènements historiques cités.
La mise en scène progressive des personnages fictifs, par petites touches au début, va conduire à l'histoire centrale du film à savoir l'injustice ou l'impossibilité à un noir de se faire entendre.
Visuellement et musicalement, le film est une indéniable réussite technique. Le mélange des genres sur fond d'actualités muettes. Le drame sur fond "années folles" d'avant-guerre. Oui, une réussite technique.
Parce que je suis (un peu) navré d'avouer que ma longue liste des compliments va s'arrêter là…
Et je dirais que chaque fois que je visionne ce film, j'en arrive toujours au même constat. Je ne me souviens jamais vraiment de la première heure et par contre, je me souviens de l'heure et demie suivante. Comme si "l'adroite mise en scène progressive" se révélait un peu trop artificielle. Et c'est vrai que la première heure n'est intéressante qu'en soi. Elle permet de mettre en place les personnages de la suite mais le spectateur (que je suis) se demande trop souvent où Forman veut en venir. Des personnages apparaissent dans des scènes qui tiennent presque du burlesque comme celles du quartier juif et miséreux à New York. Oui, d'accord, le mirage américain que vivent les immigrés. Mais qu'est-ce que ça vient faire ici par rapport au sujet principal ?
J'en arrive toujours à la même interrogation. Dans la deuxième partie du film, Forman se concentre sur les mésaventures du pianiste noir. Et le spectateur passe à autre chose, à un vrai drame en oubliant le reste et le début. Je me demande si le reste (les autres personnages, les premières scènes) nécessitait vraiment d'y passer une heure ? D'autant plus que j'aurais bien aimé en savoir plus sur le couple Sarah/ Walker, pourquoi l'abandon du bébé. Est-ce que cette dernière scène n'avait que pour but d'inspirer des réflexions particulièrement racistes des flics ? Si oui, ça manque, à mon avis de finesse. Le personnage du jeune frère de la mère joué par Brad Dourif est plein d'ambiguïtés au point que je finis toujours par me dire qu'il n'est pas "bien cuit". On le voit basculer d'une affaire à l'autre sans guère d'explication et d'une façon qui me laisse perplexe. Et c'est dommage qu'on n'ait pas jugé bon d'approfondir car le personnage est un véritable témoin.
Bon et puis le drame lui-même où le pianiste noir est en butte avec le racisme abject des pompiers. Je pense qu'il doit falloir le prendre un peu comme une métaphore. Parce que, là aussi, j'ai eu du mal à me convaincre de la vraisemblance globale de la scène, de cet engrenage assez fou. Non pas que ça ne soit pas possible, je suis bien persuadé que la bêtise ou la méchanceté des hommes peut être sans limites.
Pour finir, reconnaissons qu'il y a d'excellentes choses dans ce film. Des acteurs talentueux pour des rôles ou des personnages qui ne sont pas manichéens. Tous les personnages ont leurs propres zones d'ombre.
Des personnages sont magnifiques et admirables comme la mère (excellente Mary Steenburgen) qui respire la bonté et le respect des autres.
L'impression générale reste mitigée en ce qui me concerne. C'est un bon film mais que je ne classe pas parmi les chefs d'œuvre du cinéma. Je me demande si Forman n'a pas été trop ambitieux et j'ai bien peur qu'en voulant faire quelque chose de grandiose ou de rétrospectif, il n'a pas un peu trop dilué le message antiraciste, c'est-à-dire un message hostile au racisme.