À titre personnel, le Found Footage est l’un des sous-genres cinématographiques des moins appréciés par l’auteur de ces lignes. Le concept est facile et fait peu appel à l’imagination, car la mise en scène nécessite assez peu de travail. À cela s’ajoute un manque très fréquent de crédibilité, du fait que la plupart du temps les personnages présents dans le film utilisent des caméras incroyablement performantes, qui empêchent une réelle immersion. Le fait que l’objet qui met en image appartienne à la diégèse de l’œuvre, il semble primordial que la caméra permette la mise en abime, pour le confort des spectateurices.
À de très rares occasions, le Found Footage peut se montrer convaincant, l’exemple de « The Blair Witch Project » demeure en ce sens un cas d’école. Ce n’est pas lui qui a inventé le sous-genre, même s’il est considéré comme tel [à tort], mais c’est celui qui a le mieux saisi les enjeux et l’opportunité d’une telle démarche. Depuis, une flopée de productions ont tenté de reprendre le concept, mais rarement palpitant ce sont souvent des films moyens, fréquemment dans le genre de l’horreur, et dérivant d’une inclinaison peu artistique.
Dans tout ce bordel, de l’exploitation du Found Footage « [REC] » de Jaume Balagueró & Paco Plaza a une place un petit peu à part. Il s’avère important pour comprendre ce que représente ce film, de le replacer dans son contexte. Au milieu des années 1990, le cinéma horrifique espagnol connaît un développement passionnant, dont l’un des principaux instigateurs est Alex de la Iglesia. Cinéaste éclectique et roublard (son œuvre est à découvrir ou redécouvrir !), son « Il Dia de la Besta » en 1995 marque en quelque sorte un point de départ.
Puis, à la fin de la décennie, la production horrifique espagnole prend de l’ampleur, à l’exemple de « Los Sin Nombre » de Jaume Balagueró (déjà lui), qui deviendra un représentant de l’horreur à la sauce ibérique. Dans les années 2000, le cinéma américain patine, n’ayant plus grand-chose d’autre à proposer que des remakes inégaux, par des studios en panne d’inspiration. L’ironie veut d’ailleurs que « [REC] » connaisse à son tour un remake tout pourrave en 2008. C’est donc du côté du pays de la paella et des churros que l’Horreur subit un bon coup de dépoussiérage.
Ce que l’on pourrait appeler un véritable âge d’or du cinéma horrifique Espagnole, couvre toutes les années 2000, avec une maestria qui rivalise avec Hollywood, et surpasse même les productions du pays des burgers. Le mouvement culmine en 2006 avec l’excellente (mais inégale) série d’anthologies « Peliculas Para No Dormir » qui réunit les plus grands noms de l’horreur espagnols. Le genre connaît un déclin à la fin des années 2000, amorcé par deux productions.
L’arrivée de Guillermo Del Toro dans le game, producteur du « El Orfanato » de Juan Antonio Bayona, réoriente le cinéma d’horreur espagnol vers une sorte de sous-Tim Burton d’épouvante pas toujours convaincant. L’autre production, est bien entendu « [REC] », qui utilise un concept très hollywoodien, dénaturant la patte « espagnole » qui jusque-là se démarquait par son lyrisme gore et ses audaces rafraichissantes. Toutefois, cela ne veut pas dire que « [REC] » (ou « El Orfanato ») est un mauvais film, bien au contraire.
Cette œuvre collaborative réunit à la fois le meilleur du cinéma de Balagueró et de celui de Plaza. Avec une efficacité assez rare, ils dépoussièrent le film d’infectés par une virulence sans pareil. Tout en développant une histoire solide composée d’une mythologie, à mi-chemin entre « The Crazies » de Romero et « The Exorcist » de Friedkin en 1973. Le tour de force réside dans le fait que cela ne concerne que les 10 dernières minutes du film, qui suffisent à transcender le choix paresseux du Found Footage.
Bien entendu, le film souffre de tous les défauts liés au sous-genre, une caméra à la mise au point qui en 2007 apparait peu crédible entre les mains d’un caméraman d’une télévision locale. Le jeu d’acteur, sans être mauvais, n’arrive jamais à dépasser un style de comédie trop ancré dans une théâtralité qui trahit le naturel. Cela crée forcément un décalage entre la volonté de réalisme et ce que peut ressentir l’audience. Sans surprises, le plus gros problème réside dans le personnage du caméraman, qui film non-stop, au point que son attitude, face aux évènements, en devienne absurde. Son professionnalisme le pousse à prendre tous les risques pour… [insérez l’argument de votre choix].
Mais voilà, Jaume Balagueró et Paco Plaza sont des cinéastes qui savent très bien ce qu’ils font, et ils ne proposent pas un simple Found Footage pour immerger leur audience. Leur but n’est pas de faire croire qu’une caméra a été retrouvée et que nous en sommes spectateurices, non. Ils transcendent le sous-genre pour créer une tension et distiller intelligemment une intensité qui sans cesse monte en pression. Visiblement très au fait des mécanismes de l’Horreur et de l’Épouvante, ils jouent avec leur concept au point de le faire évoluer au rythme des contaminations qui ont lieu dans l’immeuble mis en quarantaine.
Si « [REC] » devait correspondre avec précision à un sous-genre, ce serait davantage celui du huis clos, tellement ses deux réalisateurs maitrisent l’isolement de leurs personnages dans un endroit particulièrement restreint : une cage d’escalier. Chaque palier, chaque porte, chaque logement vide constituent dès lors la mise en place d’un labyrinthe, qui transforme petit à petit l’immeuble en tombeau. Le Found Footage devient réellement intéressant dans la seconde partie du métrage, lorsqu’il ne reste plus que trois ou quatre personnages. Le concept prend une nouvelle tournure, fascinante, qui permet de faire monter la tension cran par cran, durant près de vingt minutes, pour exploser dans un bouquet final malsain et terrifiant.
C’est alors que toute la démarche du Found Footage est justifiée, précisément pour provoquer cette ultime tension, qu’une mise en scène classique n’aurait pas pu autant magnifier, à l’instar de bon nombre de fulgurances qui parsèment le film : la vieille dame, le pompier qui tombe de l’escalier, la petite fille… Tout comme les moments de bravoures de Manu, un pompier qui pète littéralement la gueule aux contaminés.
« [REC] » représente ainsi à la fois la quintessence de l’Horreur à l’espagnole des années 2000, le point culminant d’un savoir-faire qui depuis n’a jamais été atteint. C’est pourquoi il constitue un pic qui amorce un déclin. Cela peut également se mettre en lien avec le fait que le cinéma américain a pris la leçon et dès les années 2010 propose à son tour une production horrifique renouvelée, dont les inspirations ibériques sont loin d’y être étrangères.
Aujourd’hui encore, cette production minimaliste, d’un budget d’environ 1,5 million d’euros tient la dragée haute à quiconque ose tenter l’expérience du Found Footage. Insurpassée, peut-être même insurpassable, « [REC] » est de ces œuvres qui marquent leur époque, mais aussi la petite histoire du Cinéma. D’un point de vue technique, autant que par son propos, puisqu’au passage il remet le film d’infecté au gout du jour, cinq ans après l’exceptionnel « 28 Days Later » de Danny Boyle. C’est cela qui lui a permis de dépasser les frontières espagnoles et les carcans de l’Horreur, pour s’imposer comme une œuvre rare, trépidante, riche, intelligente, maline, virtuose, terrifiante et quelque part jouissive.
-Stork._