"La vengeance la plus terrible est fille du silence le plus profond"
Lord Byron


Gloria Grahame dans The big heat, de Fritz Lang (Règlement de comptes) : un personnage si différent dans les deux parties du film. Au début cette Debby Marsh est au pic de l'image que Gloria Grahame présente souvent : sensuelle, aguicheuse et espiègle, hyper féminine jusque dans le cliché phallocrate de l'oisive entretenue, la poule, mais d'évidence très intelligente car trop vive pour être même la moitié d'une idiote. Une femme d'esprit, donc plus sexy encore, et ainsi en recherche d'émancipation. Malheureusement elle est encore dominée par un salopard dangereux. Les dialogues qui fusent dans les scènes pourtant si physiques avec Lee Marvin : voici une actrice au diapason exact de la force du cinéaste en action, bref indispensable au film.
Vient alors la seconde partie du film, très marquante car Gloria Grahame y est la femme défigurée qui construit une complicité avec le héros (Glenn Ford) : tous deux ont presque tout perdu, et sont quasi indestructibles de ce fait. Elle ne retrouvera jamais sa bouille de séductrice. (Attention bientôt, ne lisez le spoil / divulgachage sous le bandeau gris, que si vous avez vu ce film) En ajoutant ses propres initiatives, vengeresses comme celles du flic, Debby Marsh vit une émancipation tragique


puis suicidaire.


Le regard de cette actrice, ramassé dans un seul œil : la deuxième fois que j'ai vu ce film l'évidence s'est imposé... le blessé de guerre, le borgne, c'est Fritz Lang, un réalisateur immense ici dans sa soixantaine, qui évoque les ravages de la guerre de 14, puis ceux de l'exil. Ravages physiques dans sa chair de jeune homme, de la bêtise de la violence, vécue à l’extrême entre Européens, de la perte que représente l'exil à 42 ans de l'Allemagne vers Hollywood. Gloria Grahame et Glenn Ford sont les doubles d'un Fritz Lang qui a répondu correctement à Hitler, c'est à dire en disant NON alors qu'il n'était pas juif, ou au moins pas considéré comme juif, et pouvait avoir un pont d'or s'il acceptait (1933), mais dans la douleur de l'exil, n'a jamais eu l'impression de pouvoir construire une réponse correcte ou à la hauteur, consécutive aux crimes si horribles des nazis. Si irréels au point de rendre Mabuse risible. La purge n'est qu'un purgatoire. La femme défigurée d'un côté, le flic en pilote automatique violent depuis son veuvage : l'apatride qu'est devenu Lang est la suite logique et tragique du jeune homme blessé, éborgné et désillusionné que la première guerre avait fait de lui. Un spectre, comme le Fantomas de Feuillade qu'il avait tant aimé sur sa vingtaine : Première revanche de Debby. L'entrée de ces doubles, et surtout Gloria Grahame, dans le domaine de l'inquiétante étrangeté, est audacieuse et inoubliable.
A noter aussi dans ce film : musique composée par Henryk Wars (Henry Vars), grand compositeur de cinéma Polonais de l'entre deux guerres, qui vivait très difficilement les années 50 aux USA... il a une trajectoire très romanesque, et ne connaîtra le succès que dix ans plus tard, avec... la musique de Flipper le Dauphin !

RémiBienvenu
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le 28 août 2020

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Rémi Bienvenu

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