Réminiscence...


Au cinéma, les années 2010 ont emprunté bien des chemins obscurs : héritant de 30 ans de nouvelles franchises et d'autant de révolutions du concept même de divertissement, elles ont acté de proposer comme renouveau de surtout faire du "neuf" avec de l'ancien. Remakes/reboots/ adaptations/réadaptations/suites/prequel + suite + sequel (le bordélique 300 : La Naissance d'un empire), elles nous ont fait voir toutes les combinaisons possibles dans des films à ce point au rabais que nombre de sagas devraient difficilement s'en remettre (de Terminator : Dark Fate à Ghostbusters, avec un certain avantage pour cette dernière).


Il semblerait qu'elles aient enracinée une pratique terrible des Majors : pour ce faire du fric, les exécutants finirent par considérer les oeuvres/franchises/sagas comme des produits dépendant surtout des lois du marché (donc plus du talent de leurs auteurs), et les spectateurs comme des consommateurs béta ne réagissant qu'aux stimulis du BOOM BOOM/blagues blagues/BOOM BOOM. Exit toute considération artistique (n'oublions pas certaines exceptions, de Mad Max : Fury Road à Mission Impossible : Fallout), les liasses seules comptaient et pour les amasser, multiplier les Yes Man et limiter les prises de risque semblait être leur technique privilégiée : comme si le cinéma, dépossédé de toute magie de composition, n'était qu'un livre de recettes fades à reproduire toujours un peu différemment pour faire croire aux clients que les plats sont faits maison.


Seulement voilà.


Les années 2010 se sont conclues en pertes et fracas : franchises détruites, sagas conclues (pour repartir de plus belle), personnalités réprimées. Que fallait-il attendre de 2020? Le Covid. 2021? On reprend comme en 2019 en enchaînant les franchises. Marvel domine encore, DC vient de retrouver, le temps d'un film, les faveurs du public et Tom Cruise continue de manquer de se tuer au nom d'Ethan Hunt. Et Hugh Jackman de revenir dans le plus grand des calmes, discret, loin du fracas de ses débuts de super-héros.


Sous la houlette de Lisa Joy, co-créatrice de la série Westworld qui passe ici à l'écriture et à la réalisation de long-métrage. Son projet? Faire de la SF en se basant sur l'exploitation des souvenirs, dans une oeuvre post-apo aux relents de film noir et de tragédie imparable. Le résultat? Une infinie branlette intellectuelle qui multiplie les phrases simplettes en se croyant philosophe, et parvient à enchaîner les incohérences de concept en ne le poussant qu'à son plus strict minimum.


La voix-off, qui dès le départ se croit Prestige, prend rapidement des allures de parodie à la Kick Ass (tout en se prenant au sérieux, bien sûr) : Jackman déclame des phrases d'une infinie bêtise, toutes placées là pour impressionner/marquer à la façon d'un Nolan, qu'il va même répéter sur la fin (avec cette abominable et naïve référence au mythe d'Euridice et Orphée, façon X-men Origins : Wolverine), histoire d'enfoncer le clou de la référence. Des réminiscences de sa réalisatrice/scénariste, qui va caler autant qu'elle peut, et tant qu'il y a encore de la place, tout ce qu'elle a pu voir de potable au cinéma?


De la science-fiction mais pas que : le film a beau être calqué sur l'épisode Derrière la faille de la série Love, death and robots, vous y rencontrerez tout ce que vous avez pu voir dans les films noirs en général (dont un club façon mélange de La La Land et Brooklyn Affairs), avec supplément Soleil vert; même le Joker passe à la trappe du recyclage. On aurait pu se manger du Mad Max aussi; la chance était avec nous, elle n'a pas osé.


Incapable de faire autre chose que ces mêmes films franchisés qui pompent leurs ancêtres pour se sentir originaux, il est d'autant plus insupportable qu'il le fait sur un ton d'auteur, à la limite du professoral, en se croyant toujours très pertinent, poussif dans son concept : et l'illusion, si elle semble durer dans la tête de Joy un certain moment, ne tarde pas à quitter l'esprit du spectateur. Et puis, il y a cette dernière demi-heure enfin prometteuse, récompense de l'heure et quelques passée à s'ennuyer ferme, que les cinq dernières minutes viennent annihiler sans semonce.


Et ces cinq minutes, quoi qu'abominablement quelconques, témoignent de tout ce qui ne va pas dans ce premier essai de Lisa Joy : à force de vouloir prouver trop de choses, de vouloir trop en faire, elle passe constamment à côté des vraies bonnes idées (qui fusent, qui plus est), engage son film dans des directions qu'elle ne fait jamais qu'effleurer (les dilemmes éthiques soulevés, le voyeurisme,...), réduisant ce qu'elle semblait considérer comme une oeuvre réfléchie, aboutie, au simple stade de coquille vide à l'emballage de fast-food.


Que ce soit dans le fond ou la forme : Joy a bien digéré toutes ses références, fait des plans à la symétrie évidente, tente des angles de vue recherchés sans pour autant y porter sa personnalité. Il est aussi là son problème : à trop vouloir raconter, elle ne nous conte plus grand chose. Trop soigneuse des apparences, elle oublie l'essentiel dans un film de science-fiction post-apo aux poussifs du thriller noir : inventer avec personnalité.


Mais dix ans après les débuts de ces réminiscences cinématographiques, le temps a passé; et Joy, bloquée dans ses références éculées, passe déjà, en début de carrière, pour Jackman bloqué dans sa machine à souvenirs. La différence? La machine à souvenirs de Joy : son stylo et sa caméra, sans possibilité d'imaginer le cinéma de demain.
Comme les producteurs, finalement : 2021 étant passée de moitié, les hommages/suites/... ne sont pas moins nombreux qu'au sortir des années 10. Et si cette période n'était pas prête d'être finie?


L'avenir nous dira s'il continue de se construire sur le passé.

FloBerne

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