Le passage d'un cinéaste de la théorie scolaire à la création d'un film destiné au grand public n'est jamais chose aisée. Bien souvent, plusieurs intérêts convergent au sein d’une même réalisation : volonté de marquer les esprits, imposition d'un style particulier, et parfois transmission d'un message engagé.
En effet, au delà de vouloir démontrer sa maestria technique, la jeune réalisatrice s'attaque à une tâche doublement difficile : redorer le blason du film de genre français tout en faisant passer un message feministe. Engagé et actuel donc.
C'est dans une magnifique villa que trois hommes mariés et richissimes se retrouvent chaque année pour leur partie de chasse, perchée en plein milieu du désert. Cependant, cette saison n'est pas anodine : l'un des hommes, le propriétaire de la maison, décide d'y emmener sa jeune et sublime maîtresse, Jen.
La lolita va rapidement susciter la convoitise des deux associés du propriétaire, et le lendemain d'une soirée arrosée, l'un d'eux va la violer.
L'amant, tronquant volontiers sa conscience contre l'absence de procédures judiciaires à l'encontre de son collègue, va proposer un deal à la jeune femme : il veut acheter son silence avec un chèque et la promesse d'une vie nouvelle, au Canada.
Face au refus catégorique de Jen d'obtempérer, les trois hommes se résignent à la faire disparaître... il serait tout de même impensable que leurs femmes apprennent qu'ils fréquentent une jeune fille! Malheureusement pour eux, cette dernière survit miraculeusement à sa chute et se met en quête de vengeance.
L'économie de casting permet à la réalisatrice de poser une ambiance intimiste, propice au développement sous-jacent du message principal du film : la condition des femmes dans leurs rapports avec les hommes.
En effet, toute la partie du récit antérieure au viol sert finalement à transposer le constat alarmant qu'une partie de la population féminine fait au quotidien : les hommes, lorsqu'ils le peuvent, abusent des femmes.
Pire, leur justification est pitoyable. Jamais responsables. Il faut dire que la jeune femme danse bien et n'était pas très habillée... la tentation était trop forte. Pathétique.
À la manière de Jen, le film prend une tournure diamétralement différente après le meurtre raté.
La jeune femme, jusqu'alors oiseau blessé, se transforme en proie, et puise dans sa force féminine pour assouvir son impitoyable vengeance.
Très clairement, Revenge n'est pas à prendre entièrement au premier degré. Car si le message sur la condition de la femme est limpide, le film ne rentre pas dans un esprit revanchard décérébré. La frontière peut certes paraître poreuse, mais la chasse à l'homme, thème de la seconde partie du récit, est plus traitée de manière jouissive et jusque-boutiste qu'engagée. À la manière d'un Kill Bill.
Or, si le premier morceau du film, maladroit voire très lourd dans sa symbolique (la pomme croquée, l'arbre en feu...) ne laissait paraître qu'une petite part du talent de la jeune réalisatrice, le second fait place nette à une véritable identité propre.
Pas étonnant puisque la réalisatrice se gorge de références : on peut penser à Mad Max pour la vengeance, les paysages lunaires et l'exposition, à Cronenberg pour le rapport au corps organique et déliquescent (ceux qui ont vu les promesses de l'ombre penseront également à la scène du sauna), et même à Lynch l'espace d'un instant, quand une une trainée de sang dans la nuit fait furieusement penser à la route hypnotique du générique de Lost Highway.
Outre ces références, la réalisatrice montre une véritable maîtrise de la caméra.
Concernant le rapport au corps, la jeune française, à l'aide de plans rapprochés, parvient à capturer toute la sensualité de l'Homme, et paradoxalement, fait preuve d'une aisance déconcertante pour montrer le sang et toute l'anatomie humaine en général.
Coralie Fargeat sait se diversifier : ses plans panoramiques, superbes, font place à des plans séquences époustouflants, sublimés par un score techno entêtant.
Cependant, en bon premier film, Revenge est bourré de défauts : complaisance incommensurable pour le gore, prestation très relative des acteurs (mention spéciale à l'amant de Jen, mélange roussissant douteux d'un captain america et d'un Jaime Lannister, et mention aussi à un des associés, sorte de François Xavier Desmaisons au bord de la crise de nerf), symbolique dénuée de toute finesse, rythme inégal.
Mais il faut dire que le cahier des charges était fourni... et à défaut de faire mouche systématiquement sur le scénario et le message engagé, Revenge remplit la fonction essentielle de tout bon film de genre : divertir tout en développant une ambiance.
Âmes sensibles s'abstenir.