Si vous consentez à ce que le corps humain soit représenté comme un élément pouvant résister absolument à tout (sauf quand ça arrange le scénario !), à ce qu'il contient à peu près cent litres de sang, à ce que les blessures qu'il subit, même les plus graves (pour ne pas dire mortelles dans un monde dans lequel la vraisemblance a sa place !), peuvent être facilement soignées, à ce que le désert (un des deux décors de l'ensemble, avec la villa d'un des trois grands méchants vilains messieurs de l'histoire !) semble se résumer à quelques pâtés de maisons, alors, vous pouvez adhérer à ce rape and revenge qui ne s'embarrasse pas le moins du monde de faire dans la dentelle. En effet, Coralie Fargeat s'en bat les ovaires puissance 10000 de la subtilité. Loin de s'en cacher, elle l'assume complètement. C'est pleinement voulu (par contre, pour le fait que les acteurs masculins soient tellement mauvais, qu'ils se révèlent aussi terrifiants que des chihuahuas nains, j'ai des doutes !).
Dès les premiers plans, allez, on y va. On ne perd pas de temps. Le physique, vraiment très avantageux, de l'actrice principale est ultra-sexualisé. Dans l'introduction, elle a tout de la Lolita, sucette comprise, pour bien faire baver (pour ne pas employer un autre verbe commençant par "b" !) le mec hétéro moyen. Les trois gros cons, faisant office d'antagonistes, sont des beaufs absolus, dégueulasses, n'ayant rien pour eux, aussi bien dans leur apparence que moralement, qui ne manquent jamais d'exprimer leur virilité bien crasse avec tout l'attirail allant avec. La réalisatrice ne passe jamais à côté d'une occasion de les filmer de la façon la plus répugnante possible, y compris par l'intermédiaire d'un gros plan d'une bouche mastiquant une barre chocolatée... beurk...
Elle adore aussi les intérieurs luxueux, froids et dépouillés, s'amuser avec la bande sonore, user d'un montage énergique, afficher des lettres majuscules bien grosses, foutre des accessoires bling-bling dès qu'elle le peut et bien bien bien bien faire morfler au maximum les corps. Ouais, le style bien identifiable de The Substance était déjà en partie présent dans ce premier long-métrage.
Bon, pour en revenir à l'histoire, une fois que les bases bien clichées de ouf sont posées, Fargeat n'en joue pas pour simplement dégager un message féministe post-MeToo vénère à mort, non, ce qu'elle fait surtout, c'est d'aller dans le défonçage pur et simple. La cinéaste, c'est ce qu'elle kiffe le plus. Elle n'y va pas à la carabine de tir longue distance comme notre malheureuse victime, mais au bazooka. Elle s'en fout, elle tire partout. Ça pète de partout, ça détruit de partout. Elle ne nous épargne pas la moindre violence. Elle l'affiche outrancièrement, joyeusement, à l'exception notable du viol, car c'est un acte, trop abominable à montrer, dont l'horreur ne doit pas être prise à la légère, dont la vision, certes, révulserait toutes les personnes à peu près normalement constituées, mais qui risquerait de trop titiller les perversions ignobles de certains, que je n'espère pas trop nombreux.
Non, le plaisir du spectateur doit venir de la suite, de voir cet objet de désir se transformer en une vengeresse impitoyable, qui massacre les uns après les autres tous ces symboles d'une masculinité tout ce qu'elle a de plus toxique. Et bordel, si on se prend au jeu, qu'est-ce que c'est jouissif. Oh ouais, c'est jouissif. D'autant plus que le tout est servi par une grande maîtrise technique. En outre, pour renforcer l'intensité, la narration ne reste pas sur un seul point de vue, mais alterne entre plusieurs, ce qui fait que l'on ne sait pas toujours quand et d'où vient exactement le danger (aussi bien pour les bourreaux que pour la victime !), sauf que ce que l'on souhaite pour les uns, on le craint pour l'autre. Et je pense que le point d'orgue de tout ceci, c'est cette course-poursuite dans les couloirs de la villa, lors de laquelle, les deux types de danger, en conséquence, les deux types contradictoires de sentiments du spectateur, se côtoient et se heurtent même.
Franchement, je trouve que Coralie Fargeat, dès son premier film, nous offre une patte intéressante, fascinante par son aspect ultra-excessif, que l'on peut ne pas aimer, mais qui ne peut pas laisser indifférent.