Ça commence comme une critique sociale qui parait à première vue axée sur les conditions de travail des personnels naviguant des compagnies aériennes low cost. Assez bien sentie, à vrai dire, avec quelques scènes édifiantes. Ça aurait pu en rester là, mais peu à peu le film prend de l'ampleur, élargit son point de vue, jusqu'à dresser avec acuité le portrait d'une jeunesse occidentale ou européenne déboussolée et sans perspective, qui cherche dans les paradis artificiels l'oubli de sa condition désespérante.
Et le film bascule carrément lorsqu'il aborde sa seconde partie, qui se déroule non plus à bord des jets dans lesquels Cassandre travaille et dans sa base des iles Canaries - clinquante et cheap - mais en Wallonie, dans une vallée de la Meuse magistralement filmée, crépusculaire et dominée par les tours inquiétantes de la centrale nucléaire de Chooz. Il prend alors une dimension plus intimiste et réintroduit la dimension humaine, par petites touches toutefois, dans l'intrigue. Avec des scènes pudiques et touchantes, parce que sonnant vraies.
Pour autant, l'impression d'ensemble est celle de toucher du doigt l'enfer vers lequel nous nous précipitons tête baissée. Que ce soit dans la première partie du film avec pêle-mêle le règlement de la compagnie aérienne qui pousse jusqu'à l'absurde le flicage de ses salariés, la terrifiante séance de formation de cette même compagnie aérienne qui pousse très loin la recherche de l'effacement des individualités, l'omniprésence du téléphone portable et des technologies digitales qui réduisent les contacts humains à leur plus triviale expression, l'absence totale de conscience sociale de Cassandre et de ses collègues et leur recherche forcenée d'une trajectoire individuelle menant vers un Graal absurde. Le tout soutenu par des images d'aéroports et de tarmacs totalement déshumanisés, comme autant de symboles de cette globalité et de cette mobilité mondialisée qui conduit l'humanité à sa perte.
A vrai dire, la seconde partie n'est guère plus réjouissante, avec le retour à la maison de Cassandre, dans cette petite ville de Wallonie au bord de la Meuse, où son père est agent immobilier et emploie sa sœur. Images de cuites tristes du samedi soir, du nouveau 4x4 de son père et de fleurs métalliques qui cliquètent au vent sur le rond-point où sa mère a trouvé la mort à l'occasion d'un accident de voiture. Quelques très belles scènes, malgré tout, dans lesquelles subsiste une fragile lueur d'humanité à l'image des cigarettes qui rougeoient dans la nuit lorsque Cassandre et sa sœur discutent. Et que dire du final, tourné à Dubaï, où des touristes du monde entier, masqués et sagement positionnés dans de petits carrés jaunes, regardent béatement jets d'eau et gratte-ciels s'illuminer.
Un film donc qui ne remonte pas le moral, un feelbad movie en quelque sorte. Mais remarquablement filmé et construit. Et porté par la performance exceptionnelle d'Adèle Exarchopoulous, à mes yeux une des toutes meilleures actrices francophones du moment.