En l'air, l’hôtesse est en-dessous des autres, des clients, et plus encore des "guests".


Shit job, shit company grogne le client saoul. Et l'hôtesse doit sourire, c'est le job. Smile ! qu'il ajoute, mais Cassandre ne sourit pas. Il n'aura pas son sourire. La boîte ailée Wing n'aura pas son humanité, elle ne la déshumanisera pas, enfin si mais pas entièrement, déshumanisation animale : docile petite Cassandre, mais pas mécanique : elle ne la transformera pas en robot. Quitte à une fois sentir la binouze de trop près, les robots ne sentent jamais l'alcool, madame, ils ne sortent jamais la veille ; les robots n'ont pas besoin de tendresse... Quitte à une fois offrir du vin à une passagère en détresse, horreur ! un geste ! Heureusement ses quotas de vente sont bons, voilà qui lui sauvera peut-être son job. Aujourd'hui tout est rendement, plus c'est toujours bien, c'est toujours mieux que moins ou beaucoup mais pas autant, combien d'abonnés pour être un bon critique ? combien de films vus pour être un bon cinéphile ? Surtout, lorsque ses collègues désormais n-1 font du bon boulot, quitte à se faire réprimander à nouveau elle osera les coter adéquatement. Quel toupet. Dorénavant il faut tout coter, tout noter, vous lui mettez combien au film ? Senscritique me contraignant à noter pour m'exprimer (c'est le jeu) j'ai mis huit, c'est un joli chiffre, huit. Et puis j'ai rajouté un cœur, j'aime bien moi les cœurs.


Une caméra presque toujours rapprochée sur le personnage d'Exarchopoulos, aussi oppressante que le métier, que la vie, que la fuite qui anesthésie de moins en moins, si elle a déjà anesthésié, ce n'est plus très clair, un coup de fil réalité et les larmes reprennent, une caméra aussi intransigeante que Wing qui n'en a rien à foutre. Parfois, rarement la caméra fait une fleur à notre protagoniste, elle la lâche momentanément pour montrer la détresse de l'autre, ainsi cette passagère non-passagère qui supplie, ainsi cette passagère qui craque, ainsi ce père toujours endeuillé, toujours en déni, c'est de famille, c'est d'époque. Tout le monde galère, donc : c'est dans l'air, c'est dans l'ère. Ainsi cette Belgique que j'aime tant où tout est moche, surtout l'aéroport, même le ciel, sauf en l'air.


Une Cassandre paradoxale à qui chacun crie l'évidence et qui refuse d'écouter, qui en plaisante ou s'en vexe quand elle n'arrive pas à boucher ses oreilles. Ainsi ces grévistes qui l'encouragent à se battre pour sa condition misérable, ainsi sa collègue saine et frugale qui encourage la difficile stabilité, ainsi ses collègues fêtards qui trouvent déjà long six mois entre le ciel et l'Enfer, ainsi sa sœur et ses amis qui trouvent profondément malheureux l'absence possible pour l'hôtesse de tisser lien solide. Ainsi l'alcool et les drogues en tout genre, il faut faire taire les voix, la voix dans la tête qui supplie. Et si ça signifie des conversations toujours superflues ainsi soit-il.


Le plus déprimant dans ce chouette film très déprimant c'est la perspective Dubaï. Dubaï comme Eldorado. Dubaï pour qui ne pas avoir d'attache est un plus, mieux qu'une ligne sur le CV. Pire : c'est une nécessité. Wing n'a pas eu son humanité, Dubaï avec ses lions en laisse et ses dauphins en jacuzzi sera plus forte. Dubaï l'aura son sourire de trente secondes, c'est une évidence. Et sans forcer, ce que Dubaï sait faire, on le sait, mais qui penserait à y penser ? En même temps Dubaï mérite : Dubaï paie mieux, Dubaï est belle, une ville de luxe, de spectacle, un spectacle tout instagramable : n'est-ce pas là l'essentiel ? N'est-ce pas là la vie ?

quaqtaq
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le 13 avr. 2022

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quaqtaq

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