A la question “faut-il se battre ou se complaire ?”, Emmanuel Marre et Julie Lecoustre répondent Rien à Foutre. En presque deux heures de long-métrage, de nombreux éléments de réponse sont donnés par Cassandre (Adèle Exarchopoulos), hôtesse de l’air désabusée que l’on est amenés à suivre… et à apprécier.
On pourrait se méprendre sur la visée de ce film tant l’effet de réel est prégnant. Rien à Foutre à-t-il vocation à être documentaire ? Cassandre est un personnage hyper-réaliste dans lequel beaucoup peuvent retrouver de leurs affects et de leurs désillusions.
Le format d’écran resserré nous met tout à portée de regard. Tout est là, éclairé simplement, sans filtre.
Mais ce qui participe le plus à cet effet documentaire est incontestablement la caméra. Celle-ci se place soit au plus près de la peau et au contact des personnages, soit cadre au contraire de manière assez large et partage une ambiance, une atmosphère.
La caméra se fait aussi panneau LED. Elle s’exhibe parfois, et on peut voir apparaître son ombre. Au fond, on ne cache pas le fait qu’elle est là : ce qui compte, c’est d’avoir accès à cette histoire, à ce morceau de vie qui cache son émotivité.
En effet, ce qui semble être le point névralgique du film, ce sont les émotions. Ou plutôt leur absence apparente.
Le centre du film, c’est Cassandre. On ne voit qu’elle; on ne s’intéresse qu’à elle. Et Adèle Exarchopoulos l’incarne de manière sublime, constamment à fleur de peau, essayant peu ou proue de dissimuler ses faiblesses.
Dès les premières minutes de film, on comprend qui elle est : jeune femme solitaire, qui s’adonne à la fête avec excès, qui a abandonné l’idée d’avoir de l’ambition. Elle suit un chemin purement individualiste. Cassandre est le porte-drapeau d’une jeune génération qui n’arrive pas à rêver au-delà du système. Une jeune génération qui vit par Instagram et qui se nourrit de rencontres fugaces.
Au fil du film, on comprend en réalité que Cassandre n’est pas dépourvue d’émotions, ni d’une histoire complexe. La question reste en suspens de savoir si elle comprend le système et s’en joue, ou si, au contraire, elle en est prisonnière.
Tout est là pour exprimer le rejet du monde contemporain. D’un point de vue extérieur, c’est à dire celui du spectateur, on voit une jeune femme en proie aux nombreux vices qui parsèment le système capitaliste : les applis de rencontre qui donnent à consommer l’amour et le sexe de manière instantanée; le corps des femmes qui devient objet dans le cadre de leur métier; l’idée que le voyage dans une destination paradisiaque nous fera oublier tous nos soucis…
Plonger au cœur d’une compagnie low cost et de ses ressorts, c’est plonger au fin fond du système capitaliste. Les décors d’aéroports, ces non-lieux mondialement uniformisés, accentuent d’autant plus cette dimension.
La personne moyenne qu’est Cassandre, Mme. Tout-le-monde, évolue là-dedans. Ce qu’elle appelle sa vie, nous le percevons comme une aventure digne d’un film.
C’est dans la scène finale, glaçante, que tout fait sens. Alors, vaut-il mieux se battre ou se complaire ?