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En France ces dernières années, il y a de ces acteurs et actrices qui ont réussi à tirer leur épingle du jeu, deviennent des figures quasi incontournables de la culture cinématographique si ce n’est populaire française. Virginie Efira fait sûrement partie des heureuses élues, autant pour son charme plus que louable que son talent encore plus appréciable, qui a été mis en avant à de maintes reprises dans les années 2010, entre Emmanuel Mouret, Justine Triet, Paul Verhoeven (oui elle jouait dans Elle, souvenez-vous) ou encore Catherine Corsini. Une belle remontada, passé la présentation de l’émission La nouvelle star, et qui n’a fait que se confirmer ces dernières années, entre Adieu les cons d’Albert Dupontel ou Benedetta de Paul Verhoeven ; mais aussi en donnant plus de visibilité à des auteurs et surtout autrices plus confidentielles, entre Alice Winocour, Rebecca Zlotowski, Antoine Barraud ou même Serge Bozon, jusqu’au succès surprise L’amour et les forêts, qui a bénéficié d’un excellent bouche à oreille en particulier grâce à son duo principal dont elle faisait partie. Que de jolis noms jusqu’à celui de Delphine Deloget, dont Rien à perdre est le premier long-métrage de fiction, après plusieurs documentaires qui avaient déjà à cœur de mettre en avant des situations sociales plus qu’indésirables. Situant son action à Brest, Delphine Deloget va cette fois-ci mettre en avant la question des services sociaux et en particulier d’aide à l’enfance, sous le prisme de ce que sa protagoniste considère être une erreur judiciaire. Bref, sur le papier, du socialo-gaucho-franchouillard bien redondant en plus financé par nos impôts où une bourge joue une pauvre comme dirait certains, mais dans la pratique (car c’est quand même bien de voir les films sur lesquels on s’exprime), une excellente surprise, un premier film plus que prometteur, mais surtout un long-métrage aussi pertinent sur son propos qu’impactant sur son déroulé.




Précédemment, j’avais souligné qu’Avant que les flammes ne s’éteignent tombait dans certains écueils d’écriture qu’on peut attribuer à de nombreux premiers films, mais que par ce statut, on sentait que le metteur en scène voulait aussi avant tout mettre toutes ses tripes et son talent de metteur en scène au service de ce qu’il cherchait à raconter. Ici, toujours sur le papier, c’est un peu l’inverse qui saute aux yeux, une mise en scène classique voire très simple pour un travail d’écriture beaucoup plus fourni. Et pourtant de simple, Rien à perdre pourrait bien plus être défini comme naturaliste voire comme bien plus subtil, voire bien plus fin dans ses désirs de réalisation qui sont tout à fait notables, à savoir quelque chose de parfaitement sobre mais pourtant tout à fait tenu. Cependant si pour ma part Delphine Deloget arrive parfaitement à nous immerger dans son contexte familial très vite troublé, en gardant une approche très documentariste, en évitant énormément d’artifices pour donner plus de crédit à son récit, elle peine à renouveler sa dite mise en scène. Au-delà d’une quelconque recherche plastique, le film devient alors pour moi un peu trop démonstratif, en se contentant parfois trop de filmer des scènes plutôt que de raconter quelque chose par cet outil cinématographique. A la limite, je dirai qu’on reste dans cette idée d’esthétique documentaire, mais que dans son déroulé, la réalisatrice manque de donner plus de corps à son récit. Un corps qu’on retrouvera en revanche dans autre chose, à savoir dans la distribution de Rien à perdre. Parce que si j’ai élagué sur Virginie Efira sur plusieurs lignes, ça n’était pas en vain, et comme d’habitude, non seulement elle prouve son grand talent sans pour autant réaliser une performance à récompense, mais en plus de cela, elle démontre encore une fois que quand on croit avoir tout vu d’elle, elle peut récidiver sur le champ. En plus des ruptures de ton proprement hallucinantes que je vais détailler dans peu de temps, Rien à perdre lui offre un rôle de mère aimante, simple sur le papier, mais qui est en prise avec une spirale infernale entre son combat pour récupérer son fils et celui qu’elle mène personnellement contre les services sociaux. Ce qui rend justement bien dommage le manque de rigueur en terme de mise en scène, qui n’accompagne ni surligne cette quasi descente aux enfers, mais qui se contente encore une fois de sembler passif envers elle dans le processus filmique.


En bref, un personnage de plus en plus dépassé par les événements, et qui est incarné avec une prestance, une dignité, mais aussi une crédibilité complètement ébouriffante, sans tomber dans la caricature. Puis à côté, il y a d’autres acteurs absolument géniaux qui côtoient la reine des belges, et qui accentuent ce sentiment de famille ainsi que la pluralité de tons et de thèmes que Rien à perdre développe. A commencer par le jeune mais déjà trop talentueux Félix Lefebvre, qui pour sa performance à prit 20 kilos, et qui arrive subtilement à montrer la boulimie de son personnage, et qui dresse le portrait d’un ado tiraillé entre son besoin de soutenir sa mère et d’évoluer de son propre chemin. Comme si ça n’était pas suffisant, l’acteur jouant Sofiane, Aliexis Tonetti, est là aussi incroyablement juste en gamin parfois complètement survolté, qui n’arrive pas à gérer ses émotions et son incompréhension de la situation parfois par l’unique voie de la violence. Et je ne parle même pas d’India Hair et surtout Arieh Worthalter, qui prouvent film après film leur puissance de jeu, d’autant plus pour India Hair qui arrive à composer sans manichéisme aucun, avec un personnage dont on aurait pu peiner à sentir l’empathie. Quoiqu’il en soit, on sent que Delphine Deloget a réussit à capter tout le talent de ces comédiens pour donner à la fois une vraie mosaïque de personnages, certes tous liés mais incroyablement variés dans leur développement et surtout leur caractérisation, qui est presque systématiquement utilisée à bon escient au sein du long-métrage, et qui permettent de maximiser des émotions que la caméra ne capte parfois que trop rarement. Bien que pour clore ce chapitre sur l’extrême justesse du casting, il faut avouer que l’extrême simplicité de la mise en scène de Delphine Deloget de vient dès lors autant un défaut, par son manque de substance, qu’une qualité, pour sa sobriété, et son dispositif en restant à l’os du septième art. Cependant, niveau technique, le film sort tant bien que mal la tête de l’eau dans son rapport à la mise en scène, toujours sans de gros artifices, mais avec une photographie à la fois sombre et brumeuse, qui vient imprégner le sentiment de descente aux enfers contée, et qui est aussi servie par une lumière somme toute pas des plus visible mais qui sait se faire bien voir, en particulier lors des séquences nocturnes. Une lumière qui démontre bien que dans Rien à perdre, le tout n’est pas de montrer les gros bras quand la simplicité s’accorde parfaitement à ce qu’on cherche à dépeindre.




Vous m’avez sûrement vu venir, si les qualités techniques ou de mise en scène ne sont pas les plus grandes réussites, ou du moins, les points les plus visibles de Rien à perdre, qui concentre une grande partie de ses qualités dans son écriture, à la fois dans son rapport au scénario que dans son ton et son genre. Sur le papier, Rien à perdre n’est pas le plus imprévisible des films, le plus coup de poing des drame sociaux ou même le plus singulier des métrages, et pourtant c’est bien ce qui caractérise le travail d’écriture de Rien à perdre. Tout d’abord dans son imprévisibilité, qui va non pas chercher du côté de l’intrigue en elle-même, bien que certains détails et évolutions de personnages puissent surprendre, mais le film va bien plus jouer sur nos attendus autour de la notion de descente aux enfers pour maximiser ses émotions procurées, car appréhendées mais délivrées avec la maîtrise décrite plus haut. A savoir un savant-mélange entre une distribution irréprochable et variée et une mise en scène sobre qui permet l’expression de ces comédiens, couplée avec ce regard de la descente aux enfers qui permet à la fois à la réalisatrice de venir questionner notre rapport à la famille, mais aussi celui de notre société et son traitement. Un traitement qui évite bien des écueils qu’on pourrait attendre du drame social typique, avec ses grandes phrases et son tragique plus ou moins exagéré, qui a souvent le cul entre la subtilité et le tragique grandiloquent. Justement, Delphine Deloget réussit à éviter ces écueils avec une idée toute bête, simple comme bonjour même, mais d’une efficacité redoutable : ne pas filmer les scènes les plus pathos. Dès lors, Rien à perdre est à la fois surprenant dans son dispositif, qui ne tombe définitivement jamais dans le misérabilisme, mais surtout, mais aussi incroyablement émouvant et bien plus que ce à quoi il aurait pu prétendre en filmant chaque détail. Ce moment où Efira rentre dans sa voiture, et pète à moitié un câble pour des raisons que je ne vais pas expliciter outre mesure, mais qu’on comprend intuitivement grâce à un montage et une narration millimétrée pour rester à cette sobriété élaguée plus tôt, mais aussi donner une force supplémentaire au long-métrage, en enlevant ce qui devient dès lors des bouts de gras. Dès lors oui, Rien à perdre est un film coup de poing et il m’a fondamentalement mis de belles droites lors de scènes en apparence anodines ou vues mille fois, mais qui sont traitées avec une telle maîtrise que j’ai presque eu la sensation de les redécouvrir.


Ah et sans compter en dernier point, l’un des plus fort et pourtant casse-gueule de ce premier long-métrage : les ruptures de ton. Jamais introduit ou développé comme un gimmick, mais bien plus comme, ironiquement, un rapprochement avec la réalité, Delphine Deloget n’hésite pas à parsemer son film de saillies d’humour, autant dans l’écriture en elle-même, certaines situations dont cette poule qui a mieux fait d’être ici qu’auprès de Sébastien Laudenbach, quand parfois l’humour sort du quasi quotidien, pour ne pas dire de la réalité. En tant que réalisatrice de documentaire, on sent déjà ce sentiment de réalité, voire de naturalisme qui transpire de Rien à perdre, mais petit à petit on comprend que la réalisatrice ne confond pas récit cru et morne, et que parfois, des moments les plus tragiques peut surgir des saillies d’humour plus ou moins involontaires mais traitées par la caméra avec un premier degré constant. Qu’on soit clair, le film n’est pas dans le gag, la caricature ou la moquerie, et il n’est pas non plus ce qu’on pourrait cataloguer comme de la comédie dramatique, mais Rien à perdre c’est notamment cette scène où (pour changer) Virginie Efira pète un câble à une table ronde ; et sa justification, son discours et même son comportement a fait hurler de rire ma salle ; non pas car la scène était drôle, mais que la rupture est si marquée, imprévisible et bien gérée, que le film parvient à faire rire sans pour autant perdre de vue sa prémisse tragique mais au contraire en la soulignant. Et justement, c’est là où Delphine Deloget injecte le plus de réalité, en mettant en emphase la bêtise humaine, toujours de partie malgré la gravité d’une situation, à commencé par une séquence où les deux frères « agressent » un policier avec l’eau de la douche pour se défendre. Sans être lunaire ou cringe, c’est simplement juste, et ça renforce pour ma part l’empathie de cette femme entrain de plonger, de perdre pied avec tout sentiment de rationalité, car de plus en plus déchiré par l’absence de Sofiane, et son désir de justice. Là où la réalisatrice est là aussi tout à fait juste, c’est dans son impartialité, en choisissant un point de vue, mais en ne s’y conformant pas pour donner lieu à un scripte manichéen, qui va au contraire creuser la psychologie de chacun de ses personnages, à commencer par celui d’India Hair au départ presque détestable mais de plus en plus tendre et digne au fur et à mesure du visionnage. Idem pour Virginie Efira, qui à force de jouer la victime, s’enfonce de plus en plus et se détache de son entourage voire de son rôle de mère, pour lequel elle a été au départ rappelée à l’ordre. Encore une fois, le regard quasi documentaire qu’à la réalisatrice sur son œuvre détonne, et n’est lâchée qu’à de rares moments, dont la fin, qui devrait sortir de toute logique, mais qui thématiquement parlant, résonne bien plus pour la construction du personnage d’Efira. Puis quoi de plus cinématographique que ce que la réalisatrice décrit même comme un western urbain ? Jouant sur des codes bien connus, posant ainsi à la fois les bases du récit mais aussi le développement des personnages, en plus d’offrir un sentiment de tension haletante qui ne se stoppe jamais durant toute la projection. Quoiqu’il en soit, pour moi, Rien à perdre c’est une quasi leçon d’écriture dans la branche du cinéma social, arrivant à la fois à capturer un sentiment de réalité ébouriffant tout en étant assez singulier dans son développement pour sortir d’une base convenue et marquer au fer rouge son spectateur, qui est suffisamment tenue et pertinent pour devenir tout simplement bouleversant.




Un premier film et un quasi premier coup de maître, Rien à perdre n’a sur le papier que son excellent casting pour sortir des standards du cinéma ouin ouin social, et si la mise en scène ne réinvente pas l’eau chaude en plus d’être trop démonstrative, l’écriture elle m’a transporté de bout en bout, à la fois dans son rejet du superflus que son mélange entre esthétique naturaliste et complètement cinématographique, entre un récit pertinent, impartial et informé, et une écriture du ton, voire du genre, qui donne une puissance supplémentaire au long-métrage ; au point d’ironiquement paraître plus réel que jamais.

Vacherin Prod

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