Désireux de trop en faire en manquant de substance?

Robocop, comme les meilleurs films de Verhoeven, s'est vu affublé, au fil du temps, du joyeux sobriquet d'oeuvre inadaptable en remake; déjà que ses suites avaient conduit à la décadence de la saga, Robocop 3 l'ayant enterré pendant plus de vingt années, faire un remake, 35 ans plus tard, tenait plus de l'outrage que de l'hommage. Massacré sur internet, pris entre deux feux (celui des fans et des spectateurs lassés des remakes), le film de José Padilha était mort-né : il était voué à devenir un bide une fois sorti en salles, puis à s'imposer, dans les bacs, comme un petit reboot sous-estimé par le manque d'ouverture d'esprit de nombreux internautes.


Pourquoi n'a-t-il donc pas gagné en popularité une fois disponible à la vente matérielle, comme un Blade Runner en son temps? On dira, pour commencer, que cette version de 2014 reste beaucoup trop sage pour le sujet qu'elle aborde; s'il y avait bien un détail de marquant dans l'original, c'était son ultra-violence en accord total avec les thématiques abordées et le cynisme de l'écriture. Trop propre, trop lisse, il cache ses meurtres par un montage épileptique, des lumières trop sombres en intérieur et présente un langage trop soutenu pour les personnages présents à l'écran.


A l'image de la scène de mort de Murphy, instant traumatisant de l'original expédié, ici, en une explosion de voiture mal animée, les gros points positifs de l'univers de Robocop sont repris en plus soft, comme pour toucher un plus grand public; c'est là tout le problème de Robocop 3 qu'il reproduit moins par manque de talent que par désir de trop en dire. Perdu dans sa fidélité d'écriture à l'original qu'il teinte de nouvelles thématiques visant à moderniser le mythe du flic robot, ce Robocop nouvelle génération, de durée équivalente à celle du premier, parvient, à force de trop en dire, à ne rien apporter, finalement, au spectateur.


L'exemple du show télévisé de Samuel Jackson est surement le plus probant : là où ces interruptions soutenaient, dans le premier film, le côté dystopique et caricatural du propos, les interventions du présentateur sonnent plus comme une parodie forcée d'une Amérique toujours plus à la page de la technologie, toujours plus extrême en termes de sécurité nationale et de protectionnisme international, sans que ce soit jamais vraiment pertinent, puisque déjà vu en mieux, en différent ailleurs (notamment dans l'excellent Starship Troopers de Verhoeven).


De même qu'au moment de voir les restes de Murphy sous l'armure se pose une question : si l'on ne sait plus comment mêler anciennes et nouvelles thématiques, que faire du personnage principal, que montrer de nouveau sur lui? Sa scène de mort originale allant trop loin dans son délire pour qu'il soit pertinent de l'égaler, cette version de 2014 est tombée dans l'un des pièges récurrents des films à grand public actuel : préférer montrer que suggérer, surement par manque d'imagination, de fertilité d'idées.


Donc plutôt que de monter progressivement dans un dévoilement de l'humanité de Murphy, on nous pose directement un fait accompli : il ne reste de l'homme que quelques organes maintenus en activité, dans ce que l'on pourrait considérer comme l'une des meilleures scènes du film, puisqu'elle est la seule que l'on retient vraiment une fois quitté le visionnage. Loin d'être dégueulasse, ce passage surprend surtout par la direction prise par l'oeuvre : fade au plus haut point, elle est obligée de pousser son voyeurisme trop loin pour laisser au moins une scène en mémoire.


A plus y réfléchir, si l'on peut la considérer comme la meilleure de l'oeuvre, il ne fait pas de doute qu'elle en est également la pire : non pas qu'elle soit mauvaise (elle est très bien narrée), c'est qu'elle démontre, en quelques secondes, le vide intérieur du travail de mise en scène de Padilha, orienté film de super-héros grand public sans aucune personnalité, type Marvel ou Nolan. En témoigne la nouvelle armure de Murphy, devenue un costume au design d'un Batman nouvelle génération, à la différence qu'il devient totalement machine une fois sa visière baissée, et qu'il perd la puissance de l'original, devenu trop félin, plus homme justicier que machine torturée.


L'idée de l'abaissement de la visière était intéressante, notamment en terme de questionnement sur ce qui fait de nous des êtres humains, mais là encore, le réalisateur et les scénaristes de l'original, surement pris par le temps imparti par les producteurs, ne se posent jamais assez pour bien développer cette thématique fascinante; non, il fallait, à la place, s'intéresser au personnage du bon scientifique qui deviendra l'ami du héros (interprété par un Gary Oldman absolument vide de toute émotion), à la rivalité manichéenne avec Jackie Earle Haley (plus charismatique en une scène que les trois huitres auteurs du meurtre de Murphy), aux retrouvailles d'une famille, à la vengeance d'une moitié d'homme, aux méchants bien méchants (avec un Michael Keaton qui cabotine à la Julien Lepers sur Questions pour un champion), au peu de développement de l'ami Lewis (passé de femme à homme pour une raison inconnue), personnage fade et sans aucune personnalité, aux scènes d'action finales très généreuses et, bien sûr, à montrer pourquoi Murphy reste un humain malgré les retouches informatiques.


On est tout de même bien loin de la direction annoncée, d'une véritable réflexion sur l'humanité possible d'un cyborg : vous le verrez dans la scène finale sur le toit, durant laquelle Murphy dépasse, par la magie de l'amour et de l'héroïsme, sa condition d'homme programmé pour résoudre le scénario et se débarrasser, enfin, d'un Bruce Wayne en pleine déchéance. Robocop manque de rigueur, d'application : on sent que, fait trop vite et sans forcément de conviction (comment en avoir avec le mouvement de masse lancé contre sa seule existence?), le résultat est à des années lumières de ce qu'il aurait du être.


Vendu comme une critique du système hollywoodien, il épouse les travers de sa critique en se tournant presque uniquement vers un cinéma de divertissement grand public sans aucune personnalité, et n'aborde pas le quart de ce qu'il devait dénoncer. Trop ambitieux pour un film de si courte durée, il aurait soit mérité d'être en deux parties, soit de durer plus longtemps. On retiendra cependant le manque de charisme du casting total, la palme revenant au vide du visage de Joel Kinnaman, catastrophique en comparaison de Peter Weller. La dernière phrase, et la volonté de détruire toute propagande américaine, restent suffisamment savoureuses pour garder un bon souvenir de cette oeuvre maladroite qui voulait trop faire.


Une suite serait primordiale pour organiser le bordel de ce nouvel univers. Puisse Neil Blongkamp bien faire les choses.

FloBerne

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