Rocky peut, en apparence, être considéré comme un film sur la boxe alors qu'en réalité ce n'est pas l'objet principal de l’œuvre.
Certes il y a bien des références à Rocky Marciano (l'apparence de Rocky, une photo de Marciano dans sa chambre, le style de boxe...), des allusions à des termes propres au milieu de la boxe (fausse patte, garde...) sans parler du passage célèbre consacré à l'entrainement final de Rocky.
Pourtant, il semble bien que l'univers de la boxe n'est ici qu'un prétexte pour s'intéresser au parcours, aux relations et à l'identité du personnage principal. Rocky, c'est l'histoire d'un raté, d'un minable larbin au service d'un usurier local qui parvient à se construire une identité paradoxalement grâce à l'univers misérable dont il est issu. Son univers est celui des quartiers pauvres de Philadelphie peuplés par les classes populaires héritières de l'ancien monde industriel de la côte est des États-Unis. Son environnement quotidien est caractérisé par la misère : il habite un logement spartiate pour ne pas dire vétuste, il fréquente une salle de boxe miteuse où d'autres ringards comme lui viennent taper dans les sacs, il circule dans des rues froides et mal fréquentées (loubards). Cependant, Rocky représente le produit et même le symbole de cet environnement. En effet, à travers le personnage de Rocky émerge un certain nombre de vertus qui résultent de son mode de vie, notamment le cœur (au sens de courage), l'honneur, l'abnégation, la frugalité, presque l'ascétisme (le gars frappe à main nue sur des carcasses de viande, combat jusqu'à la limite contre un champion du monde...). Ces vertus sont renforcées par l'image renvoyée par l'entourage du boxeur (Paulie l'alcoolique, Mickey et son visage émacié, Adrian et sa timidité maladive, les solidarités de quartier...) mais s'opposent nettement au monde bourgeois de Creed. La scène de l'interview, retransmise à la télé chez Adrian et Paulie, est particulièrement révélatrice de cette opposition : Rocky est humble, il n'est guère habitué aux caméras et se montre plutôt maladroit tandis qu'Apollo Creed est très à l'aise, il soigne son image (il offre une chance à un inconnu...) et se moque de Rocky ouvertement. Outre la qualité des scènes intimes (patinoire et autres instants larmoyants), c'est bien la mise en valeur d'un monde prolétaire vertueux (simple, habitué à la dure) et idéalisé, opposé à un modèle bourgeois, prétentieux et élitiste, qui donne au film sa profondeur.
Au total, Rocky reste pour moi un film splendide même s'il a participé, dans une certaine mesure, à redorer l'image du modèle méritocratique américain.