L’affiche présageait d’un grand manque de prise de risque et de vision. Elle n’a pas fait dans la publicité mensongère.


Le défaut principal du film, c’est sa construction par épisodes fragmentaires qui ne construisent rien, pas de tension scénaristique, ou de montée en puissance. Et puis Doillon choisit de parler à la fois des amours de Rodin et de son œuvre. Pourquoi pas. Mais aucun lien intéressant ne semble être fait entre les deux. Les faits sont là, dans le désordre, où est la colonne vertébrale, où est le mur porteur ? On est dans le mauvais biopic, qui n’a pas compris qu’il y a une différence importante entre la réalité et cette part de fiction qu’il doit toujours y avoir dans un film. La réalité n’est pas résumable. Elle n’obéit pas à une logique linéaire. La vie d’un individu ne prend pas automatiquement, naturellement, la forme d’une montée en puissance, d’une descente aux enfers, ou d’une rédemption. Elle est faite d’à-coups, de hoquets, de revirements, de passages à vide qui ne racontent pas une histoire, qui ne font pas vibrer, qui ne portent pas une signification profonde. Un film qui renonce à prendre cette vérité en compte pourra difficilement transporter, avoir un souffle. Mais c’est le choix de Jacques Doillon, qui, certainement, nous présente chronologiquement des événements de la vie de Rodin, sans réfléchir à la forme que le tout va prendre. Et c’est aussi le problème qu’avait rencontré The Lost City of Z, racontant tout aussi chronologiquement les errances d’un explorateur dans et hors de la forêt amazonienne. Il aurait fallu mentir. Ou opérer des choix drastiques, comme Le Redoutable, qui ne parle que de quelques années de la vie de Godard, sans le montrer derrière la caméra. Dans cet intervalle choisi, le film d’Hazanavicius trouve une forme narrative satisfaisante, qui a quelque chose de la descente aux enfers, du déclin. Voilà une manière de faire les biopics qui gagne en ampleur, on l’a vu aussi avec Jackie, et ce n’est certainement pas pour rien. Par ce moyen, on peut à la fois accomplir le devoir du documentaire, qui est de nous en apprendre sur le grand homme, la grande dame, et celui de l’œuvre de fiction, qui est d’émouvoir, d’accéder au statut d’œuvre d’art. Rodin accomplit plutôt bien la première tâche, et reste aux abonnés absents pour la deuxième.


Et puis Lindon dans ce rôle, c’était téléphoné. L’affiche m’a fatigué. Le film sur Rodin s’appelait Rodin. Et il y avait Vincent Lindon dessus, empruntant la même allure grave que toujours, la barbe en plus. Le réalisateur s’était dit : “Tiens, je vais faire un film sur Rodin. Et ce que je raconterai, dedans, ça sera la vie de Rodin. Voilà. Du coup je vais l’appeler “Rodin”. Et donc il me faut un acteur un peu sombre, un manuel, pas un lyrique.”
Mais oui. Surtout, n’essayons rien. N’essayons pas de surprendre, de réinventer, de casser un mythe (là encore, Le Redoutable avait été très bon). N’essayons pas de dire quoi que ce soit d’autre que ce que la page Wikipédia de l’artiste voudra bien nous apprendre. Ça, c’est une démarche pour un documentaire.


Tiens, encore un domaine où le film est nul en tant que fiction : les dialogues. Dès la première scène (avec ce plan-séquence qui n’a pas de sens, mais ça fait classe, les plans-séquence, du coup j’en mets un pour mon ouverture), j’ai eu un sale pressentiment. Nos deux comparses, Rodin et Claudel, sont en train de parler de l’art du premier. Et là, énorme erreur de débutant : le piège de la double énonciation. C’est gros comme une maison : plutôt que de s’adresser véritablement et crédiblement à leur interlocuteur, les phrases prononcées par les deux personnages s’adressent en fait à nous, pour nous informer, nous en dire plus sur les personnages. Mais elle n’ont pas de sens si on considère qu’il n’y a pas de public, et que Rodin et Claudel se parlent vraiment l’un à l’autre. Ils sont en train de présenter son art, de l’expliquer, alors que c’est évident qu’avec leur niveau de complicité chacun des deux est parfaitement au courant de tout ce qui se dit. Le problème perdure pendant tout le film : quand Rodin rencontre Monet, il s'exclame, le saluant : “Monet !” Au cas où nous, spectateurs, ne l'aurions pas reconnu. D’autre part, Camille Claudel est connue pour être devenue graduellement bipolaire, intraitable, paranoïaque. Mais Dieu ! que ces dialogues d’engueulades sont faux et mauvais ! On dirait que les phrases sont prononcées dans le désordre, au hasard, avec pour chacune un niveau aléatoire d’énervement. Quand on a un texte et une direction d’acteurs aussi ratés, impossible de juger vraiment du talent d’Izïa Higelin.


Bref, allez voir ce film pour découvrir l’œuvre du sculpteur, et certainement pas avec de quelconques attentes sur sa qualité dramaturgique et artistique propre.

AegonVII
5
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le 5 juin 2017

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AegonVII

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