Dans la foulée du triomphe de The Force Awakens, Rogue One est le premier des films prévus pour sortir entre les « épisodes » ayant pour vocation de raconter des histoires situées dans l’univers Star Wars mais indépendantes de la sage de la lignée Skywalker. C’est un vétéran d’ILM John Knoll qui est à l’origine du concept du film qui lui a été inspiré par le texte déroulant du Star Wars original :
« C’est une époque de guerre civile. A bord de vaisseaux spatiaux opérant à partir d’une base cachée, les Rebelles ont emporté leur première victoire sur le maléfique Empire Galactique. Au cours de la bataille, des espions rebelles ont réussi à dérober les plans secrets de l’arme absolue de l’Empire : l’Etoile de la Mort, une station spatiale blindée dotée d’un équipement assez puissant pour annihiler une planète tout entière.«
Pas moins de trois scénaristes vont plancher sur son idée de raconter les circonstances dans lesquelles les rebelles se sont emparés de ces plans en transposant le genre que les anglo-saxons appellent du « men on a mission » – qui voit un commando accomplir une mission destinée à changer le cours de la guerre et qui compte parmi ses fleurons Les Canons de Navarrone ou les Douze Salopards – dans l’univers de George Lucas : Gary Whitta (Le Livre d’Eli), Chris Weitz (Pour un garçon) et enfin Tony Gilroy (quatre Jason Bourne, Michael Clayton) appelé en cours de tournage pour réécrire le dernier acte qui ne satisfaisait pas Lucasfilm. C’est à Gareth Edwards talent découvert avec son Monsters et confirmé avec son trés bon remake de Godzilla, fan absolu de la première trilogie au point d’avoir passé son 30e anniversaire à Tataouine lieu de tournage de l’original en Tunisie à boire comme Luke du lait coloré en bleu (qu’on retrouve bien évidemment dans Rogue One) qu’est confié la réalisation .
Le modèle du film de guerre s’adapte parfaitement à Star Wars car l’imagerie de la seconde guerre mondiale fait partie de l’ADN de la franchise, George Lucas en ayant repris beaucoup des codes visuels au point d’utiliser dans l’attente des effets spéciaux des plans de combats aériens de la seconde guerre mondiale pour faire le premier montage du film original. Ainsi Edwards et son directeur de la photographie Greig Fraser (Zero Dark thirty) en émule l’esthétique plus brute avec une caméra souvent portée à l’épaule .
Les nouveaux protagonistes incarnés par un casting volontairement représentatif de la diversité des cultures constituent des reflets plus sombre de ceux des trilogies: comme Luke, Jyn Erso (Felicity Jones) a grandi dans une ferme mais sa séparation tragique d’avec ses parents et son éducation par Saw Gerrera un leader rebelle devenu comme Vader plus machine qu’homme (interprété par Forrest Whitaker qui fait des choix de jeu assez déconcertants) en a fait un personnage plus dur et cynique que le futur Jedi. Cassian Andor (Diego Luna) l’espion rebelle rappelle les personnages de Han Solo ou Poe Dameron mais on réalise rapidement qu’il est prêt à tuer de sang-froid y compris des innocents pour servir la cause rebelle. Son partenaire le droïde K2SO (Alan Trudyk excellent) remplit le rôle de comic relief de C3PO mais son humour est bien plus froid et cynique que le célébre traducteur doré. Le duo asiatique Donnie Yen and Jiang Wen est très réussi, le personnage de Yen Chirrut Îmwe un moine aveugle sorte de Zatoichi galactique sensible à la Force sans être un Jedi sort du lot. Bodhi (Riz Ahmed) pilote déserteur de l’Empire complete le commando. Malgré de bons concepts ces nouveaux personnages manquent du charisme de ceux introduits par J.J Abrams.
Du coté obscur en revanche , le Directeur Orson Krennic officier impérial veule et cruel interprété par un Ben Mendelsohn (Animal Kingdom , Exodus) impeccable est un vilain parfaitement haïssable et abject. Sa rivalité dans les rangs impériaux avec Tarkin (un Peter Cushing ressuscité par la magie des CGI) est jouissive. Mais surtout Edwards en quelques scenes iconiques rend à Darth Vader son lustre écorné par La Revanche des Sith. Si Rogue One devait constituer la dernière apparition à l’écran du seigneur Sith le personnage quittera la scéne sur un de ses plus grands moments.
Le premier acte du film peine à trouver son rythme mais se sauve par son immersion totale dans l’univers de la trilogie originale reconstitué de manière fétichiste par une direction artistique somptueuse (que les aigris appellent « fan service ») et l’introduction de nouveaux environnements .
Rogue One transpose des concepts qui viennent de l’histoire de la seconde Guerre Mondiale, on y découvre ainsi une rebellion plus ambiguë, rongée par des luttes intestines n’hésitant pas à employer des méthodes discutables. La conception de l’Etoile Noire fait écho au Projet Manhattan le personnage de Mads Mikkelsen (un peu sacrifié dans ce role) étant un avatar galactique de Robert Oppenheimer. On y retrouve l’obsession nucléaire du réalisateur de Godzilla, le pouvoir de l’arme ultime de l’Empire prend la forme de champignons atomiques tout droits sortis des photos des essais nucléaires américains dans les années 50. Mais le film puise aussi son inspiration dans l’Histoire contemporaine, l’occupation de Jeddah autrefois ville sainte de l’ordre Jedi par les troupes impériales, avec ses souks et sa population au look oriental renvoie directement aux guerres irakiennes et afghanes menées par les USA et leurs conséquences. Dans la galaxie trés trés lointaine comme en Syrie cette occupation génére une faction plus « radicale » de la rébellion qui rappelle l’actualité récente. Comme chez George Lucas, si il revêt les symboles et l’imagerie nazie l’Empire est avant tout une métaphore de l’impérialisme américain, aprés le spectre du Vietnam et des années Nixon en 1977 c’est celui hérité des années Bush qui plane ici.
Mais là ou The Force Awakens perdait de son élan dans sa seconde moitié se reposant sur les structures familières de la saga, Rogue One explose littéralement dans un dernier acte proprement démentiel, une bataille dantesque sur les plages et dans l’atmosphère de la planète tropicale Scarif au milieu de laquelle, nos héros doivent infiltrer une installation top-secrète de l’Empire. AT-AT, Star Destroyers, X-Wing et Deathtroopers (les troupes de choc de Krennic) s’engagent dans une orgie visuelle qu’on peut qualifier de « Star Wars Porn ». Les moment glorieux et poignants se succédent dans cette apothéose où Gareth Edwards fait preuve d’une maîtrise impressionnante, jouant sur les échelles et les points de vue. Dans ses derniers moments grandioses Rogue One sort du cadre du « film indépendant » pour se rattacher de maniére organique au film original et on quitte la salle des étoiles (et peut-etre quelques larmes) dans les yeux comme il y a 39 ans…
Conclusion : Malgré quelques problèmes de rythme dans sa première partie et un casting qui manque un peu de charisme, Rogue One visuellement superbe est une réussite au final proprement démentiel.