Avec la sortie de la première histoire dérivée, il peut-être intéressant de se demander ce qui, pour chacun, représente un film Star Wars... Dans un univers assez complexe où se mêlent les bisbilles politiques interplanétaires et les diverses guildes commerciales plus ou moins licites nous savons retrouver à plus petite échelle, le mono-climat caractéristique, la faune bigarrée, l'architecture typique, les objets atypiques pourtant familiers, les véhicules et droïds en tous genres, enfin, tout ce qui fait l'esthétique propre à Star Wars, le tout enrobé dans la musique de John Williams et supposé filmé avec un minimum de maîtrise.
Dans tout ça, promener un groupe quelconque d'individus chargé d'une mission tout aussi quelconque me semble suffisant pour promettre au spectateur le divertissement et le dépaysement attendu sans qu'il soit par ailleurs nécessaire de rattacher cela à ces histoires farfelues de Force dont l'absence n'empêcherait pas les planètes de tourner voire au destin d'une famille élue dont les pérégrinations consanguines passées et futures ne me semblent pas l'attrait principal d'un univers autrement riche de perspectives.
En cela, Rogue One, qui partait d'une ligne de texte et d'un demi-dialogue du premier-quatrième épisode me semble d'emblée bien plus prometteur que le simili-remake de l'an passé qui oubliait un peu trop les possibilités de son jouet, trop occupé qu'il était à lécher consciencieusement et dans le sens du poil le scrotum du supposé fan lambda non sans par ailleurs accumuler un nombre de blasphèmes qui laissait pantois.
Et donc, oui, savoureuse idée que de s'attaquer au petit bout de la lorgnette, dommage que la nuée de producteurs-scénaristes-réalisateurs se soient sentis obligés de ramener tout ça lourdement à l'habituelle quête universelle alors même qu'un simple et discret épisode d'espionnage (c'est le terme consacré dans la dite phrase de départ) n'impliquait pas forcément une bataille intersidérale d'ampleur ou un rattachement à marche forcée et jusqu'à l'absurde vers le point de départ original.
Assez vite, le film se révèle n'être qu'une succession de mauvaises idées mal racolées les unes aux autres dans un patchwork décousu que l'on essaie vainement de rendre harmonieux en évitant soigneusement tous les temps morts et autres respirations pourtant bienvenues qui faisaient le sel des épisodes précédents-futurs les plus réussis et plus généralement de toute bonne histoire qui se respecte. Un croiseur interstellaire lévite quelques mètres au-dessus d'une ville, les barbouzes envoient des messages radios en plein hyperespace, le maître espion infiltre une base impériale déguisé en officier avec sa barbe de clochard péruvien, l'ingénieur a prévu un plan machiavélique pour éviter d'être repris et de servir malgré lui les forces du mal mais il se résume à faire semblant pour la sauver de ne pas avoir un enfant que pourtant le représentant des forces en question connait personnellement dans le flash-back futur à tel point qu'il n'a même pas pensé à se munir d'un détecteur quelconque pour la chasse à l'homme la plus vitale de son empire, à un moment quand même, on veut bien que les scénaristes se fassent virer trop vite pour avoir le temps de lire l'histoire dans son entier, mais ça laisse un peu petit peu dubitatif...
Le plus gênant, malheureusement, est ailleurs, dans les fautes esthétiques lourdes que l'épisode de l'an passé avait su un peu mieux esquiver. D'emblée, la suppression du générique ne facilitait pas l'immersion prévue, mais si en plus la séquence d'introduction au bord d'une plage (pourquoi pas des palmiers tant qu'on y est...) aussi star-warsienne que mon premier orteil droit est filmée sans pied autant dire que je vais devoir attendre le récit véritable pour me laisser prendre au jeu, et ce n'est pas un charmant broc de lait bleu et une jolie trappe qui vont suffire à faire passer la pilule...
Heureusement, le film réellement lancé, nous retrouvons avec un plaisir non dissimulé toutes les joies de la découvertes de nouveaux mondes, des marchés interlopes, de l'ambiance impériale oppressante, et tant pis si aucun personnage ne déborde d'un charisme particulier, de toutes façons, à moins d'avoir raté le quatrième-premier épisode, vous savez tous comment tout cela va se terminer, le plus important, jurisprudence Jar-Jar oblige, c'est d'éviter les intrusions trop insupportables, pour le reste, inutile de se faire d'illusions...
Et donc on essaie de ne pas voir le prisonnier-poulpe grossièrement numérisé, l'inutilité de Saw, l'imbécilité de son tortionnaire visqueux du dernier mauvais ton, l'immonde dernier plan, tous ces effets spéciaux abominables qui nous avaient été épargnés (un peu) la fois précédente nous reviennent cruellement à la figure comme l'ectoplasme vidéoludique d'un Peter Cushing qui serait devenu le sosie de mon grand-père alors que mon grand-père n'a bien entendu jamais ressemblé à Peter Cushing... Un trois quart de dos, un demi-reflet et le tour était pourtant joué avec n'importe quel sosie acceptable, pourquoi se compliquer à ce point la vie quand le résultat à l'écran est aussi grotesque ? Vanité des techniques modernes qui se croient toujours plus efficaces même lorsque leur échec est aussi criant, triste monde...
Ce que je comprends encore moins c'est l'amateurisme qui consiste à glisser dans le costume de Vador un corps visiblement aussi peu approprié et aussi éloigné que possible que l'acteur d'origine, David Prowse, un gabarit avant tout, presque deux mètres de haut, des épaules carrées, des hanches fermes, une démarche tout en force tranquille soit l'exact contraire de Spencer Wilding, taille mise à part, des épaules tombantes, les hanches flageolantes, la démarche d'une ballerine avinée... Douloureuse façon de mépriser une fois de plus la mémoire et surtout le sens esthétique des spectateurs...
Et puis tant qu'on est dans les idées stupides, heureusement que John Williams ne regarde jamais les Star Wars, parce que de vouloir supprimer sa musique était déjà suffisamment stupide en soi, mais pourquoi alors en faire des ersatz, des bribes disséminés un peu partout, comme pour lancer en nous le début d'un embryon d'enthousiasme qui s'écrase en flammes la seconde suivante dans une frustration difficilement descriptible...
Alors quand même, on profite doucement de Jedha, Yavin IV, les petits clins d'oeil de partout qui font plaisir sans gâcher l'histoire, de ce qui, normalement, devrait être la base du récit, une histoire, une aventure et l'univers de fond qui arrive tant bien que mal à donner à tout ce mélange un peu indigeste le semblant de liant qui lui permet de tenir jusqu'au bout, de déposer enfin le spectateur repu, au bord de l'indigestion, sur le pavé, l'esprit brouillé, ne se souvenant au passage déjà plus de la moindre image du moindre moment de cinéma, content tout de même, malgré le gâchis, malgré l'absence d'ambition, malgré surtout les ratés multiples, parce qu'il y a derrière une force plus grande, issue intégralement du film d'origine et qui continue, film après film, à sauver du naufrage les tentatives médiocres qui s'accumulent dans un vide scénaristique à réveiller les morts...
Pour combien de temps encore ?