L’année passée, le retour de Star Wars au cinéma tenait de l’évènement. En témoignait l’effervescence qui habitait des millions de fans dans l’attente de l’Episode VII, le fameux Réveil de la Force. Disney entend bien capitaliser sur ce regain d’intérêt pour la licence culte en annualisant les sorties des films de la saga, avec l’idée d’alterner épisodes “principaux” et spin-offs explorant des aspects plus secondaires de l’univers. C’est du premier d’entre eux dont il sera question ici : Rogue One, sous-titré A Star Wars Story. Pas de Jedi ni de Skywalkers ici puisqu’il est question du vol des plans de l’Etoile de la Mort par un groupe de rebelles, simples soldats au milieu d’une guerre galactique destructrice. Une belle occasion d’offrir une vision neuve du sacro-saint canon de la saga en revisitant les événements ayant directement mené au début du film fondateur de 1977, à condition que Disney et LucasFilms se soient donné les moyens de leurs ambitions.
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La principale différence entre Rogue One et le reste des épisodes sortis au cinéma jusqu’à présent (passons sous silence les malheureux films dérivés consacrés aux Ewoks) ne tient pas dans son histoire ou son contexte, puisqu’il entend directement se rattacher à l’Episode IV, mais bien au point de vue qu’il adopte. Exit le côté chevaleresque et les accents de tragédie familiale épique, exit également le ton d’aventure spatiale un peu naïve que pouvaient prendre certains opus de la saga : Rogue One est un vrai film de guerre. Les personnages principaux ne sont plus des figures emblématiques autour desquelles semble se jouer le destin de la galaxie mais bien de simples soldats, pions au sein d’un échiquier galactique qui les dépasse.
Le film offre ainsi une perspective relativement inédite, en tout cas pour ce qui est de l’incarnation cinématographique de la saga. La Rébellion apparaît moins comme une toile de fond que comme une vraie cause pour laquelle des individus de chair et de sang donnent leur vie. L’écriture parvient à rendre la guerre civile galactique plus réaliste, plus palpable que par le passé, en nuançant ce que l’on connaît déjà du conflit. Les rebelles apparaissent plus impitoyables que jamais dans un contexte où l’exécution de l’ennemi n’est pas seulement autorisée mais parfois nécessaire pour servir la cause. De la même manière, Rogue One évoque pour la première fois l’idée d'extrémistes dissidents au sein de la Rébellion et rappelle que même une idéologie noble peut être soumise à des dérives. Ces éléments épaississent avec pertinence l’univers mais restent hélas sous-exploités du point de vue narratif. Trop sage, l’écriture renonce à tisser un vrai propos sur la guerre, à poser de vraies questions sur le bien-fondé du combat de la Rébellion ou sur ses moyens.
Un écueil scénaristique qui, hélas se répercute sur les personnages principaux du film. L’équipe en charge du vol des plans se constitue pourtant d’une vraie collection d’individus aux origines et motivations variées. Malheureusement, chacun d’entre eux peine à s’extirper de sa fonction première d’outil dans l’intrigue. Plaisants à suivre, les protagonistes manquent de développement, leurs arc narratifs personnels sont au mieux esquissés et au pire complètement absents. Prenons Cassian Andor (interprété par Diego Luna), tête d’affiche masculine de l’escadron rebelle. Établi dès sa première scène comme un combattant déterminé et pour qui la fin justifie les moyens, il subit un revirement au beau milieu du film sans forcément que l’accent ne soit mis sur ses raisons ou ses dilemmes moraux, et manque ainsi l'occasion de créer un vrai impact sur le spectateur.
Il en va de même pour les autres membres de l’équipe, tour à tour amusants, intrigants ou entraînants - en particulier les deux gardiens de l'ancien temple Jedi et le droïde K-2SO - mais qui peinent à susciter une implication émotionnelle totale à cause d’un manque de caractérisation. En ce qui concerne Jyn Erso (Felicity Jones), l’héroïne du film et meneuse par défaut de la troupe, elle échoue à agripper l’attention du spectateur avec la même immédiateté que Rey dans l’Episode VII. Le personnage manque de fond, de substance, mais gagne cependant en empathie à mesure que les enjeux du film se resserrent autour de sa volonté de retrouver son père, puis de porter son héritage. L’interprétation de l’actrice, très juste, aide à s’attacher à Jyn malgré son écriture réservée. Citons également un méchant (le Directeur Krennic, incarné par Ben Mendelsohn) assez réussi dans son rôle de sous-fifre condamné à vivre dans l’ombre de ses supérieurs. En revanche, mieux vaut oublier Forest Whitaker qui interprète le leader dissident Saw Guerrera avec un cabotinage bien trop prononcé.
L’inconsistance de l’écriture de Rogue One peut en partie s’expliquer par le contexte de production quelque peu chaotique de sa production. A la base, les rênes du projet avaient été confiées à Gareth Edwards, réalisateur du très bon film de SF indé Monsters et surtout du reboot de Godzilla en 2014. Un choix bienvenu, le style d’Edwards, plus affirmé et moins propret que celui de JJ Abrams collait à merveille avec l’ambiance guerrière recherchée pour le projet. Cependant, le montage original d’Edwards n’était pas entièrement au goût des exécutifs de LucasFilms, qui auraient exigé qu’au total 40% du film soit retourné. Entre des reshoots dirigés par Tony Gilroy et un montage final lui échappant, Edwards n’aurait donc pas pu montrer au public le film tel qu’il l’entendait. Un problème hélas coutumier pour les jeunes réalisateurs prometteurs propulsés aux manettes de blockbusters XXL et déjà vécu par Edwards avec son Godzilla, lui aussi sévèrement remanié.
Autre dommage collatéral d’un processus de production troublé : le départ d’Alexandre Desplat, originellement choisi pour composer la bande-son du film. C’est Michael Giacchino qui le remplace, compositeur solide mais trop souvent relégué au rang de pasticheur de John Williams. Ce fut déjà le cas sur Jurassic World et ça l’est encore plus ici. Pas aidé par un délai très court - 4 semaines pour composer et arranger toute la BO - Giacchino reste dans l’ombre des canons musicaux établis par Williams et peine à créer un thème marquant. Un constat d’autant plus marqué par la réutilisation de plusieurs thèmes marquants de la saga Star Wars, évidemment bien supérieurs.
En résulte donc l’impression d’un film un peu bâtard, qui semble avoir du mal à affirmer un vrai projet filmique au-delà de son statut de divertissement. Fort heureusement, ces problèmes semblent surtout affecter la première moitié du film. A l’image de son héroïne, Rogue One gagne en intensité, en pertinence et en intérêt sur la durée, et se finit par un troisième acte tout simplement mémorable. Sans doute parce que ce ne sont plus tant les individualités des différents membres de l’équipe que la nécessité de mener à bien coûte que coûte leur périlleuse mission qui compte désormais. Le film capture sans problème ce sentiment d’une petite guerre dans la grande, ce climat de bataille désespérée contre un ennemi supérieur en nombre et en équipement et atteint des sommets dramatiques peu habituels pour la saga.
La longue bataille finale, menée sur plusieurs fronts, réussit là où le film d’Abrams échouait à proposer des scènes d’action vraiment vibrantes. La mise en scène d’Edwards est plus viscérale sur les phases au sol et plus virevoltantes lors des batailles aériennes et spatiales qui retrouvent enfin leur prestige au sein de la saga. Le cinéaste rappelle son talent, déjà visible dans Godzilla, pour jouer sur les échelles en restant à hauteur humaine, pour filmer l’apocalypse (ici la destruction planétaire vécue à même le sol) et pour iconiser des figures déjà bien connues. D’une manière générale, Edwards travaille son image avec soin, gommant les couleurs pour une image plus réaliste et moins clinquante que celle d’Abrams, et offre quelques très belles idées de mise en scène, hélas pas toujours mises en valeur par un montage sans ampleur et les prises de Gilroy. Néanmoins, malgré l’intervention du studio, la patte balbutiante d’un auteur se fait parfois sentir. Difficile, par exemple, de ne pas penser au Edwards de Monsters lors d’une scène finale entre Jyn et Cassian mêlant intimité et urgence apocalyptique.
Prologue direct à l’Episode IV, Rogue One ne manque jamais l’occasion de faire une référence plus ou moins appuyée à son illustre ancêtre. Tous les personnages dont LucasFilms pouvait justifier la présence apparaissent ou sont évoqués au détour d’un dialogue, qu’ils jouent un rôle dans l’intrigue ou soient relégués au rang de modeste clin-d’oeil. D’une manière générale, ces inclusions font sens dans l’intrigue et n’empiètent jamais sur le feeling global de l’oeuvre. Hélas, la volonté de coller coûte que coûte à l’esthétique du premier Star Wars conduit l’équipe du film à quelques fautes de goût, dont la plus flagrante est la recréation de deux personnages humains mythiques du film de 1977 entièrement en images de synthèse. Le travail est honorable mais se révèle bien trop gênant à l’écran quand des poupées numériques interagissent aux côtés d’acteurs de chair et de sang. En revanche, les dernières séquences du film, celles faisant directement le lien avec l’introduction d’Un Nouvel Espoir, sont à la hauteur du mythe. L’ultime cadeau au fan, ce sont les deux scènes mettant en scène Dark Vador, peut-être le méchant le plus emblématique de la saga et ici mis en scène avec tout le panache, le charisme mais aussi la violence que l’on peut attendre du personnage.
Rogue One est indubitablement un film plus intéressant que Le Réveil de la Force, plus original, plus ambitieux artistiquement et bénéficiant du travail d’un réalisateur talentueux mais bridé. Le film n’atteint pas les sommets auxquels il aurait pu prétendre avec une écriture plus solide et un metteur en scène libre de ses intentions mais n’en demeure pas moins un blockbuster de SF très efficace, parvenant à faire oublier ses manquements dans un acte final généreux en intensité. Le produit fini reste néanmoins révélateur d’une politique dangereusement proche de celle de Marvel en terme de formatage. En attendant l’Episode VIII qui devrait beaucoup faire parler de lui l’année prochaine, nos espoirs se portent sur le prochain spin-off : un retour sur la jeunesse de Han Solo prévu pour 2018 et réalisé par les géniaux Phil Lord et Chris Miller.