L'enfant aime ou n'aime pas, c'est idiosyncrasique, il n'y réfléchit pas vraiment. Plus tard, il devient chameau, il a de la bosse, il commence à comprendre pourquoi tels éléments le contentent et tels autres l'hérissent. Les lions enfin, sûrs de leur force, tranchent dans le gras de ce qu'ils voient, en positif, en négatif (ce qui est toujours ça de pris).
Mais Star Wars — en ce qui me concerne ; pour les autres, ça peut être d'autres films, sagas, univers… — n'est pas un objet soumis aux lois de la raison.
Est-ce discutable que les fans hardcore, qui ont l'habitude des fautes de dosage — entre les deux trilogies qui n'en sont pas exemptes, sans parler des romans jeunesse et moins jeunesse de l'UE qui ont leurs sales moments… —, continuent à aimer si déraisonnablement cette saga ? Pour sûr, il a des choses à en dire, du film :
Les séquences de l'introduction m'ont semblé vraiment rapides et turbulentes, les personnages sont pas forcément génialement dessinés ni caractérisés. (Encore que Jackie Force donnait, au-delà du comic relief, une vision intéressante des individus sensibles à la Force et de leur rapport un peu illuminé à elle.) Le discours du capitaine Andor sur Yavin IV est un peu long, et un peu pas totalement convaincant. À vrai dire c'était cheesy, même. On découvre que la punch-line n'est pas aussi puissante que la Force chez Dark Vador qui, avant d'avoir raffiné sa vanne du manque de foi consternant, a dû en essayer des versions foireuses, notamment une obscure histoire d'ambitions étouffantes… Un moment Horatio Caine. Tellement embarrassant. Mais bon, c'est rattrapé par la scène de sabre-laser. Yummy. (Par contre, je note que le Q.G. de Vador est situé sur une planète Mustafar-style — dont le nom n'a pas été donné au contraire de toutes les planètes du début dont, en revanche, on se foutait royalement… — et que soit Vador est devenu tellement stoïque qu'il n'a même plus mal au cœur quand il voit un banc de cendres au bord d'une rivière de lave, soit l'Empereur a un sens aigu de l'ironie dramatique.) Il y a de sérieux problèmes de cohérence rapport à la solidité des vaisseaux : un Hammerhead tape dans un Star Destroyer et ne fait que l'égratigner, OK, par contre, un Star Destroyer poussé par un Hammerhead peut carrément en décapiter un autre comme s'il était fait en alumettes. J'avais mal à mon immersion. Tuer quasiment tous les personnages de l'intrigue, c'était sacrément couillu, aussi — d'ailleurs, si plusieurs personnages ont une mort qu'on pourrait qualifier de « satisfaisante » (sordide…) parce qu'ils ont rempli leur devoir et seront à jamais dans nos mémoires (et celles de la Rébellion, etc., etc.), d'autres meurent comme de véritables personnages secondaires : ce que les uns considéreront comme une impardonnable infraction du Code de la Fiction, qui pose que les personnages principaux doivent avoir une mort signifiante ; les autres, dont je suis, préféreront peut-être relativiser cet aspect absurde et si réalistement tragique de leur mort en remarquant à quel point cela révèle notre adhérence aux codes. Pourtant, ces morts brutales et hasardeuses — par leur aspect paradoxalement choquant — peuvent nous permettre de poser le doigt sur quelque chose d'important : d'un côté, qu'ils sont des personnages secondaires à l'échelle de la prélogie Star Wars, de l'autre, qu'ils sont des soldats au beau milieu d'une guerre, et que les soldats tendent à mourir sans raison. On pourrait même l'interpréter comme une conséquence de l'influence grandissante du côté obscur de la Force après l'avènement de l'Empire. Après tout, quand on veut trouver des raisons pour passer la pommade sur les trucs qui fâchent, on peut toujours !
Parce qu'en réalité, qu'est-ce qu'on s'en fout ? Se replonger dans l'univers Star Wars, c'est un tel cadeau ! que la conscience aiguisée du spectateur cultivé, surtout celui qui traîne ses guêtres sur SC, tend à gâcher et couvrir de jus de citron, juste parce qu'il n'est plus capable d'oublier cinq minutes les acteurs, les scénaristes, la réalisation, bref, les intentions et les décisions derrière un film.
Mieux vaut regarder Rogue One comme si c'était un objet naturel et venu tout fait, sans réal, sans scénar, sans intentions humaines — en tout cas, ça correspond bien à l'état d'esprit de l'enfant qui ne veut qu'une chose, regarder et regarder et regarder encore à travers la fenêtre de son écran les histoires d'une autre galaxie, lointaine, très lointaine. Je crois pouvoir me considérer chanceux d'avoir une madeleine de Proust dont l'impact sur l'esprit est aussi aisément puissant, c'est un peu la possibilité de retourner en enfance avec bonus.
Une enfance augmentée, ou une enfance 2.0.