Rouge
7.2
Rouge

Film de Stanley Kwan (1987)

Voici l’histoire d’un amour fou (amour-passion, comme le suggère le rouge du titre), à Hong Kong, entre une jeune courtisane d’une maison de plaisirs et un héritier d’une famille attachée aux valeurs traditionnelles (propriétaires d’un commerce). Les parents du jeune homme s’opposant au mariage (ils avaient déjà passé un arrangement avec la cousine du jeune homme), le couple d’amoureux décide d’un suicide commun pour rester ensemble pour l’éternité. Ils s’isolent pour inhaler une forte dose d’opium. Malheureusement, arrivée en bas (selon son expression), la jeune femme ne retrouve pas son amoureux. Lasse d’attendre, elle décide de venir à sa recherche, tout en ignorant quel aspect il pourra avoir (en cas de réincarnation). La voilà qui se retrouve à Hong Kong plus de 50 ans après (morte en 1934, elle y revient en 1987), avec le physique et le look de l’époque de son suicide.


Bien entendu, la ville a beaucoup changé et elle ne sait pas comment s’y prendre. Comme elle envisage de passer une annonce dans un journal, elle entre dans une rédaction. Elle y trouve un homme qui accepte de l’aider. Très craintif quand il réalise qu’il dialogue avec un fantôme, il finit par l’héberger au risque de provoquer la jalousie de celle avec qui il vit. Lui fait un peu ours, elle assez dynamique. Quoi qu’il en soit, un couple qui ne pense pas au mariage, malgré une organisation bien établie qui risque bien de tourner à la routine. Mais, ils sont à cent lieues du romantisme qu’ils devinent dans l’histoire de Fleur (Anita Mui) avec le 12ème jeune maître (Leslie Cheung).

Fleur a connu le 12ème jeune maître alors qu’ils avaient 24 ans, en 1934. Dans la maison de plaisirs où Fleur travaille, on voit toute une société s’agiter, courtisanes aux noms poétiques, serviteurs et habitués des lieux. On observe notamment tout ce monde à partir d’une sorte de mezzanine carrée qui surplombe un autre étage, dans une ambiance colorée et festive.

Fleur a d’abord cherché à séduire le 12ème jeune maître pour obtenir ses faveurs (après trois plans de maquillage au tout début, elle chante lascivement déguisée en garçon, des mélodies nostalgiques et poétiques, célébrant la beauté de la nature et la pureté de l’amour). Ceci dit, la belle Fleur a l’habitude des jeux de la séduction et elle n’hésite pas à l’occasion à faire monter les tarifs. Elle connaît bien la valeur de l’argent et elle qualifie un billet de 500 de « bossu aux deux balluchons » (observation personnelle et stylisée des chiffres), qu’elle se souvient avoir reçu d’un homme voulant juste lui caresser la main.

Bien entendu, avec l’assiduité du 12ème jeune Maître, Fleur gagne son amour. Experte pour faire monter le désir, elle l’a d’abord fait mijoter comme on fait « frire le mérou » selon son expression. Une passion qui se manifeste par des gestes spectaculaires : un feu d’artifice au-dessus de la cour carrée qui se conclue par la présentation au grand jour d’un message qui lui est spécialement destiné. Plus tard, il fait hisser un grand lit au-dessus de cette même cour carrée, un lit où Fleur ne recevra personne d’autre que lui. Autant dire qu’elle ne se démonte pas lorsqu’un client la provoque en s’allongeant dessus !


Ce film réalisé par Stanley Kwan et produit par Jackie Chan a de quoi séduire (à l’image de la belle Anita Mui). On remarque de nombreux détails qui mettent en valeur la façon dont on perçoit la mort et l’au-delà dans certaines contrées d’Asie. On sent le poids des traditions en 1934 et on se régale de l’ambiance dans la maison de passe soulignée par un goût marqué pour des chansons aux airs nostalgiques. On remarque aussi la différence d’ambiance et d’état d’esprit entre 1934 et 1987, avec une sorte d’aseptisation générale accompagnant le modernisme. A l’ambiance très colorée et festive de 1934 succède une ambiance tournée vers le pragmatisme soulignée par des couleurs nettement plus froides en 1987. Plus personne ne sait comment les choses se passaient 50 ans auparavant (l’esthétique du film suggère que c’était mieux avant, petite facilité). L’histoire d’amour est très bien amenée, on sent la passion entre les amants. Ayant vu le film deux fois à quelques semaines d’intervalle, je peux dire qu’il fonctionne vraiment aussi bien la deuxième fois. Le fantastique sert de prétexte à une histoire qui atteint son point culminant à la fin. Autant dire que c’est bouleversant.


Les acteurs sont impeccables, la direction et la mise en scène remarquables. Tout cela est mis en valeur par des costumes et des décors de qualité. Je pense à la maison de plaisirs, mais aussi à plusieurs scènes de théâtre traditionnel. En grand amateur, le 12ème jeune maître est prêt à jouer de petits rôles de figurant pour approcher un acteur qu’il vénère. Très maquillé, il joue devant son amoureuse qui le soutient, mais également devant ses parents qui ne le reconnaissent même pas. Scènes trop courtes pour profiter pleinement du spectacle interprété (il faudrait en avoir les clés), mais suffisamment pour admirer les costumes, chorégraphies et maquillages. Très habile, le scénario enchaine les allers-retours entre les deux époques de façon naturelle, pour finir sur une révélation qui fait mal, même si on l’attendait un peu.


Ce film éveille des échos, notamment avec le cinéma de Wong Kar-wai (Leslie Cheung a tourné sous sa direction), pour le romantisme effréné qui rappelle In the mood for love restant juste un cran en dessous à mon avis, mais aussi 2046 pour l’utilisation d’un nombre-code, le goût pour les couleurs et les musiques de couleur locale. Il est possible que Wong Kar-wai ait été influencé par son compatriote (et non l’inverse).

Electron
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le 27 sept. 2023

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