Milano Trema débute sur une longue séquence montrant l'évasion de malfrats lors de leur transport en train d'un pénitencier, l'on imagine, à un autre. Éthiquement et visuellement violente la séquence est ponctuée par la discussion, en voiture, d'un père et sa fille sur le chemin de l'école. Ils sont arrête abruptement par les malfrats qui, ni une, ni deux, zigouille le père sous les yeux de la fillette. En voiture, la fillette devient l'otage malgré elle, malgré eux, des malfrats dans leur cavale. La bande-son sature alors des pleurs et cris de la fillette. Le plus malfrats des deux invectives l'autre en lui ordonnant de la faire terre. Celui-ci, réticent, finit par mettre la fillette en joue.
Cut.
Et c'est à cet instant que nous découvrons le protagoniste principale du film: l'inspecteur de police Caneparo. Alors qu'aujourd'hui le corps est meurtri, déréalisé à l'extrême, sujet à de grandes rhétoriques, (de Saw à Michael Haneke, de Hostel à Lars Von Triers), voilà le cadavre de l'écolière qui nous est présenté par son cartable jaune ensanglanté. Ce que nous allons comprendre, 1h30 plus tard environ, c'est que ce corps qui se dérobe à notre regard, ce cadavre qu'on aperçois, c'est d'abord celui d'une corps politique avant de ne s'affirmer, dans le folklore cinématographique italien des années 70, comme un corps poétique d'un genre tout entier.
Je m'explique.
Milano Trema (Milano Trema: la polizia vuole giustizia dans son titre complet original, ou la rue de la violence chez nous), réalisé par Sergio Martino en 1973, fait partie de la vague des néo-polars italien sensé reproduire, à moindre coup, des succès américains du moment. Des Rip-offs dans le jargon yankee si vous préférez, mais pas que. Ces néo-polar, donc, appelé Poliziotteschi, font suite à autre apogée de genre, le bien-aimé Giallo, dont Martino fut l'un des artisants, moins connu, c'est vrai, que les Bava, les Lenzi, les Fulci ou les Argento. Lorsque Martino réalise Milano Trema, il a deux projets: faire un film sur l'Italie qui lui est contemporaine, à savoir l'Italie dîtes "des années de plomb", faîtes d’assassinats, d'enlèvements crapuleux et de truand-révolutionnaires, mais aussi un remake du Dirty Harry de Don Siegel, L'inspecteur Harry chez nous, avec Clint Eastwood , sorti en 1971, deux ans auparavant.
De quoi est-il question, donc, dans Milano Trema: d'un inspecteur de Police, lasse, fatigué de la violence illégitime à laquelle toute la société italienne est confrontée, la violence ordinaire pourrait-on dire, qui va se forger un caractère, une politique, une réputation sulfureuse en espérant imposer sa vision d'une justice expéditive, un peu fascisante (on est en Italie, le terme n'est pas gratuit). L’inter prête, superbe incarnation du "beau mâle" latin, est à l'opposé du physique carré et baroudeur de Eastwood. A se demander si il n'est pas ici dans un contre-emploi avec l'objectif initial, qui était d'en faire un dur de dur, un policier qui serait du même calibre que les malfrat en face de lui, une réplique sociétale, légitime, de la justice contre ce qu'elle est sensément condamné. En gros: qu'est ce que ce beau gosse, ce mannequin de magasine, vient faire dans le rôle d'un inspecteur Harry. Ce décalage, Martino va nous l'opposer directement à notre attente, immédiatement dans la séquence d'introduction.
D'emblée, l'inspecteur nous est présenté par le prisme du cadavre de cette jeune écolière. Bouleversé par cette découverte, l'impuissance et l'injustice du fait, Caneparo canalise l'essentiel des réactions des spectateurs de l’époque: faire justice. Réparer cette faute, éradiquer la violence et ceux qui en sont les commanditaires. En deux plans subjectif sur le cartable jaune ensanglanté, en resserrant le sujet à l'image, Caneparo fixe les attentes, cadenasse pour de bons la mission pour laquelle le spectateur le mandate. Aussitôt à la chasse des deux malfrats, ils les descends de façon ambiguë, alors que ces deux-là, piégés, étaient entrain de se rendre. Ça en est fait de la présentation de Caneparo, nous sommes à dix minutes de films, et nous ne savons rien d'autre de lui que ce que l'on vient de voir. C'est en assassinant les malfrats, en retournant leur violence contre eux, de façon illégitime, que Caneparo est présenté aux spectateur du film. Face à son commissaire en chef, qui n'approuve pas l'attitude de son inspecteur mais éprouve à son égard une sorte de sympathie, il se verra imposé une gentille sanction, histoire de dire, d'officialiser aux yeux de la société une faute avouée et à demi-pardonnée.
Le commissaire lui oppose sa propre quête, qui est de faire tomber les gros bonnets, ceux qui dirigent dans l'ombre les malfrats, les anarchistes, les violents, et qui sont protégé par une sorte de carapace dorée, dorée par l'argent ou le pouvoir politique. Apparemment aux portes de la retraite, le commissaire explique travailler depuis longtemps sur une affaire, et semble vouloir démontrer, avec une résolution toute proche, qu'il et possible de rester dans le stricte espace de la justice tout en obtenant des résultat contre ceux qui pervertissent le système, la société. Dans une boutade enlevée, l'inspecteur lui rétorque: je ne sais pas si vous êtes un pauvre fou ou un héro, mais vous êtes un justicier modèle pour ce pays. Le commissaire prend congé de son inspecteur, sort dans la rue, rentre chez lui mais est assassiné lâchement, abattue en pleine rue, en plein jour, au beau milieu des gens. Voilà, dès lors, la vraie intrigue de Milano Trema: trouver les coupables, remonter jusqu'à eux, et leur faire payer le meurtre, non pas d'un commissaire ou d'un pays, mais du symbole même de la justice, de la société, de l'état de droit.
Pour se faire, le beau blond aux yeux bleu va utiliser à peu près les même armes que le pauvre prêtre du El dia de la bestia de Alex de la Iglesia,(le jour de la bête en vf), dans lequel un prêtre, persuadé d'avoir décrypté un message secret dans les évangiles et annonçant l'arrivé de l'antéchrist sur terre pour la veille de l'an 2000. Alors que les autorités elles-mêmes du clergé s'oppose à sa découverte, celui-ci décide de tout faire pour retrouver l'enfant du mal à temps pour le combattre. Et pour se faire, il devra donc renier tout ce qu'il a professé, épousé comme conviction, en péchant partout ,le plus possible, du mieux qu'il peut afin de se retrouver dans les bonnes grâce du mal. Un espion en somme, un mata-hari clérical. Pour Milano Trema, la quête est toute semblable: blasé par son nouveau commissaire, et par les instance même de la justice qui ne semble pas vouloir faire avance l'affaire du meurtre d'un de leur haut-représentant, Caneparo va s'infiltrer directement, et terriblement, dans les "milieux" de la pègres, du banditisme (braquage de banque) aux mauvaise mœurs (racket et même proxénétisme), abandonnant toute morale pour se rapprocher au plus près de ce qu'il a combattu, en vain, toute sa vie. Ce qu'il va découvrir, quand il va démasquer l'origine du mal, cela en dit long sur ce que le film peut raconter de l'Italie, de la vie politique qui lui est contemporaine.
C'est un témoignage à peine déguisée, en directe, de ces fameuses "années de plombs". Ce cadavre de la jeune fillette, écolière, au début du film, c'est l'incarnation d'une génération, celle supposée se substituer à la génération aux pouvoir à ce moment-là, l'incarnation d'un idéal, en route vers l'école, et qui serait devenue, à la base d'une éducation "réaliste", la génération qui aurait mis fin à l'injustice et à l’illégitime. C'est cette promesse d'un renouveau qui est assassiné. C'est un corps d'abord politique, mais il est aussi poétique puisque ce chemin, cette route vers l'école, est symbolisé par la couleur jaune, littéralement le "giallo", et qui en dit un peu plus sur le rôle que Martino veut faire jouer au médium cinématographique. Milano Trema, c'est un mode d'emploi, une catharsis, un véhicule qui agit sur les spectateur comme une prise de conscience, les fait se questionner, s'interroger de façon indirect mais terrible, sur leur place et leur responsabilité dans la vie morale et sociétale de l'Italie d'alors. Ce jaune, cette résurgence du Giallo, c'est vraiment une façon d'exprimer le rôle qu'à pu jouer cette cinématographie-là, à ce moment précis, sur la jeun génération émergente. Un acte politique donc, poétique, morale presque, mais surtout un acte purement cinématographique, exprimant avec force, en un seul plan, quel est le pouvoir du Cinéma (le rôle?) sur les conscience, sur la société. On dit souvent que le cinéma est un miroir du monde, qui reflète le monde, en témoigne fidèlement, consciemment et malgré lui. Si c'est le cas, lorsque l'on regarde Milano Trema, et même aujourd'hui, en traversant les générations et les âges, force est de constater qu'on a vraiment une sale gueule. Beau retournement, n'est-ce pas, lorsqu'on regarde le beau gosse qui incarne Caneparo. PS: je vous conseil un milliard de fois de regarder Milano Trema pour ce qu'il raconte de l'Italie d'alors que cette infâme et insignifiante boursouflure qu'est Romanzo Criminale et qui ferait passer Mussolini pour un leader sympathique et charismatique. Si Milano Trema avait pour prétexte de refaire l'inspecteur Harry, Romanzo Criminale essaye à son tour de refaire les films de Scorsese, époque Deniro - Joe Pesci, voulant rendre les gangster cool malgré l'horreur qu'ils suscitent. Après tout, et vu la faiblesse du Cinéma contemporain occidental à être poétique et politique, Romanzo Criminale, sous ses aspects de défilé de mode et son esthétique de pub pour parfum de luxe n'a finalement que les modèles qu'il mérite.
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