En Alaska, une prison de haute sécurité supervisée par l’oppressif directeur Ranken garde sous les verrous une centaine de taulards multirécidivistes. Manny, le plus dangereux d’entre eux, placé en isolement après plusieurs tentatives d’évasion, élabore un ultime plan pour s’échapper de cet enfer. Il s’allie à Buck, un autre prisonnier plutôt sanguin, lui aussi bien décidé à s’enfuir. Perdus au beau milieu d’une région traversée par un froid glacial, Manny et Buck se réfugient dans un train. Mais au démarrage, le conducteur succombe d’une crise cardiaque et les freins ne répondent plus, laissant le train filer à toute vitesse, hors de contrôle.
Runaway Train est une anomalie dans le catalogue de la Cannon, un film à rebours des idées préconçues sur ces péloches habituées à se voir coller l’étiquette « nanar » sur le front. L’ouverture du film conserve pourtant l’esprit des productions du studio. Tout commence par une présentation ultra-testostéronée du milieu carcéral, fréquenté par des prisonniers aux muscles saillants, passant leurs journées à se battre sur le ring et mettre le feu aux couloirs. À l’intérieur, c’est le chaos total. Dehors, c’est un goulag perdu dans d’immenses décors gelés où les hommes sont réduits à l’état d’animaux, humiliés sans cesse par les gardiens. Tout porte à croire que ces vingt premières minutes outrancières sont annonciatrices d’un actioner décérébré, au regard des clichés de films d’action typiquement eighties qu’elles accumulent. Mais une fois accomplie l’évasion du duo Manny / Buck, ces anti-héros au caractère bien trempé, le long-métrage frappe fort. Film « ligne droite » avec sa machine filant à 150 km/h sur les rails et détruisant tout sur son passage, Runaway Train est d’une efficacité tranchante, spectaculaire à chaque instant. Le récit d’évasion est mis en scène avec une technique impressionnante, mêlant prises de vues réelles du train et tournage en studio, n’oubliant jamais de relancer l’action. La promesse est tenue de bout en bout : le train ne s’arrêtera pas et le film fera tout, à grand renfort de rebondissements, pour qu’il ne stoppe jamais sa course.
Conçu comme un lieu de l’action en perpétuel mouvement, le train se dévoile progressivement comme un personnage à part entière, à la face changeante au gré des obstacles et autres assauts tentés sur lui. Après un premier choc frontal avec un wagon sur les rails, le visage du train fou éclate en un amas de ferraille tordue et se mute en un monstre d’acier parcourant les étendues de neige paisibles de l’Alaska. Kontchalovski fait de son convoi une seconde prison pour ses personnages, filmés comme des êtres à bout de nerfs, épuisés physiquement dans un environnement extrême. Le train égratigne, blesse sérieusement Manny et son acolyte, à nouveau piégés dans une structure en métal que leur condition physique ne pourra jamais déformer. Penser devient un effort supplémentaire, mais essentiel pour s’en sortir. Et c’est là que le réalisateur épate, dans l’humanité qu’il injecte dans le traitement de ses protagonistes, chose étonnante pour un film de l’écurie Cannon. Manny et Buck, interprétés respectivement par l’intimidant mais habité John Voight et le bourru Eric Roberts, sont des personnages de prisonniers détestables, cruels, mais profondément humains dans le rapport physique qu’ils entretiennent avec la situation (les corps mis à rude épreuve par le train et le froid) mais également introspectif, presque méditatif, sur leur condition d’être à bout de course. Une réflexion sur la condition humaine en somme que le final tragique mais sublime, se concluant sur un carton citant le Richard III de Shakespeare, achève de faire du film une expérience cinématographique puissante, exceptionnelle.
Runaway Train oscille brillamment entre ses deux facettes : l’une étant impétueuse, intense, l’autre désespérée, traversée par un lyrisme lancinant. Sans doute trop sous-estimé, il se révèle être bien plus qu’un film d’action bourrin s’inscrivant dans la lignée des autres productions musclées de son époque.