La boîte à rêves vient-elle définitivement de fermer ses portes ? L'entertainment tel que l'ont conçu nos gloires d'antan n'ont-elles plus les doigts d'or d'autrefois ? Comment se fait-il qu'une pointure aussi inoubliable que Robert Zemeckis enchaîne-t-elle autant les fours depuis les dix dernières années ? À l'heure où Sacrées sorcières s'étale sur les écrans télé comme un anachronisme de la fin des années 80, analyse et début de réponse d'un film déja sacrifié sur l'autel du divertissement .
La réponse se trouve dans le renouvellement des générations de spectateurs mais elle est aussi à retrouver dans le contexte social, culturel et politique de son époque. L'alignement des planètes si évident pour un hit comme Retour vers le futur tient à son renouvellement des formes, de son écriture acidulée et de son timing si parfait de la comédie. Un lâcher prise dans sa modernité qu'il en devient un véritable témoin de son temps. Mais le phénomène Zemeckis ne s'arrêtera pas aux années Républicaines de Reagan. Forrest Gump est lui aussi un pur produit démocrate d'une décennie où après La Guerre du golfe, le réalisateur aménage une soupape de respiration par le biais d'un benêt scrutant l'histoire de l'Amérique d'un regard biaisé. La démarche est discutable mais pas le succès. Bob Zeme se coule alors dans le moule de chaque période avec un certain optimisme et une pointe d'amertume à l'image du personnage de Jodie Foster dans Contact ou Tom Hanks dans Seul au monde. La comédie cède sa place au drame dont l'effort technique écrase un peu l'émotion. On y perd forcément beaucoup même si la forme est au-dessus de tout soupçon.
Se présentent les années 2000. Le réalisateur de Roger Rabbit expérimente la motion capture. Hollywood amorce sa mutation finale, celle de la franchise à outrance aux fondations numériques. Alors que Spielberg éponge de son cinéma les attentats du 11 Septembre, Peter Jackson dernier grand représentant du blockbuster fou prend la pôle position. Harry Potter et Jack Sparrow occupent les esprits et remplissent les poches de leurs producteurs avant que Marvel ne leur dame le pion. C'était il y a dix ans...
Après une salve de bides qui aurait fait fuir n'importe quelle major, comment Zemeckis peut-il encore shooter une adaptation de Road Dahl avec cette liberté folle de l'artiste en roue libre ? Son passé de money Maker génial ? Un vieux contrat poussiéreux trainant au fin fond d'un tiroir ? Une Warner devenue soudainement philanthrope avec les seniors ? La puissance de feu de Cuaron alliée à celle de Del Toro ? Le feu vert d'un tel projet au regard de son résultat final a tout d'un saut dans le vide sans élastique. C'est un peu comme si George Miller avait soudainement décidé de signer un nouveau segment de Babe ou Happy feet malgré leurs échecs commerciaux dans un contexte où le film pour gosses foldingo n'a plus sa place. Un geste équivalent au BGG de Spielberg le degré de folie en plus. Zemeckis, le pet au casque toujours aussi présent convoque le trauma et la poésie dans une première scène où les flocons de neige défient l'attraction terrestre. Nous ne sommes plus dans l'idée visuelle mais dans la figure de style ou l'oxymore cinématographique : La beauté de la mort nichée au creux de l'horreur ou l'inverse...
Sacrées sorcières n'éludera pas son drame aussi vite et la douleur de la perte des parents du jeune garçon ne trouvera son aboutissement qu'à l'issu de son affrontement avec les sorcières. Guérir le mal par le mal mais avec la bienveillance d'un artiste revenu à ses premiers amours. Ce nouvel opus ne se hissera jamais à la hauteur de ses glorieux ainés mais sa richesse stylistique pourvue d'une production soignée n'aura de cesse de rappeler à quel point Zemeckis reste l'homme capable de convertir les rêves sur pellicule. Peut-être aussi parce qu'à l'instar de son ex-patron producteur ses songes ont encore quelques traces de l'enfance. Ceux à la fois candides et merveilleux qui entrelacent les jolies scènes horrifiques avec les marionnettes de synthèse. Un secret de cinéma fait de la main gantée d'un professionnel du divertissement qui malheureusement aujourd'hui n'a plus la même aura qu'à ses débuts. Il faudra l'accepter, la conception de ce cinéma qui nourrissait les fantasmes des gamins de l'ère "Amblin Entertainment" est définitivement terminée. L'esprit des E.C comics et l'héritage de Chuck Jones ont eu une dernière fois leur incarnation à travers un récit de Roal Dahl. Sacré Bob !!