Plus que de consacrer l’avènement d’une actrice hors-pair (Julianne Moore tient dans Safe son premier rôle principal) ce troisième long métrage de Todd Haynes est surtout le tableau inquiétant, ou plutôt la descente en enfer stylisée d’une femme qui sombre dans la folie : Carol White, femme au foyer dans une banlieue richissime de Los Angeles souffre tout à coup de maux divers et variés que la médecine classique se révèle très vite incapable de soigner.

C’est finalement toute la vacuité de sa vie qui s’abat sur Carol comme une massue. Résidence sous surveillance, aides-ménagères à gogo, anniversaires de riches pour riches, dîners professionnels où elle est confinée au rôle de potiche, l’univers aseptisé dans lequel elle évolue devient, au propre comme au figuré, irrespirable. De l’extérieur tout semble clair mais dans le périmètre dans lequel Carol évolue personne ne comprend.

La high-society telle que la voit Todd Haynes est glaçante, terrifiante même. D’ailleurs, Safe, malgré ses atours de documentaire se regarde presque comme un thriller. A la différence qu’ici ce n’est pas un individu qui tue l’héroïne, mais l’ennui. La musique anxiogène d’Ed Tomney n’y est pas pour rien, mais c’est de voir Julianne Moore ainsi perdre pied, puis se faire récupérer par une secte déguisée en centre d’accueil pour nantis désoeuvrés qui est réellement étouffant. D’ailleurs Todd Haynes avait à l’époque qualifié Safe de film d’horreur de l’âme. On ne pourrait pas dire mieux !

Mais le réalisateur fait encore plus que cela : il se livre avec jubilation à un jeu de massacre pervers qui remet en question beaucoup de codes sociétaux qui sont désormais acquis inconsciemment. Du mari aimant mais aveugle au psychiatre que l’argent a autant déshumanisé que ses patients, en passant par les charlatans new-age du centre Wrenwood, personne n’est épargné. Et le film, qui date de plus de quinze ans, n’a rien perdu de sa force. Car aujourd’hui plus qu’hier les thérapies alternatives font des émules, et dans certains cas, ne sont jamais très éloignées de mouvements sectaires. De la même manière, les riches sont toujours plus cloisonnés, les pauvres ghettoïsés.

Todd Haynes ne dit donc rien que nous ne sachions déjà mais l’accent de vérité qui se dégage de Safe rend la critique d’autant plus grinçante et efficace. Nous ne sommes pas dans la caricature mais dans une étude de mœurs brillante, qui analyse avec finesse les mécanismes qui conduisent une personne saine d’esprit des murs blancs de sa maison blanche high-tech à l’hypocondrie, puis à la cellule d’isolement. L’étape suivante, on la connaît… Et cela fait froid dans le dos.

Créée

le 16 sept. 2018

Modifiée

le 6 juin 2024

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François Lam

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