On a là un film curieux, qui prend le spectateur à rebrousse-poil (je crains l'échec commercial). Pendant la séance, j'ai repensé à L'Apollonide, que j'avais beaucoup aimé tout en ayant des réserves (en gros, la vanité de l'ensemble). Saint Laurent est encore un peu plus radical que son prédécesseur, en ce sens que c'est un film qui ne raconte rien, ne mène à rien, ne sert à rien. On y voit YSL déambuler dans ses costumes cintrés, blablater sur tout et sur rien, se droguer, faire l'amour, faire passer le temps. Ca ne va pas plus loin. Bonello orne ça d'une mise en scène extrêmement léchée, de musiques sublimes, c'est superficiel mais c'est très beau. Ils sont nombreux les cinéastes à vouloir faire ça, avoir l'air à la mode tout en créant de vraies oeuvres d'art. Il y a Jarmusch, Dolan, mais ils échouent lamentablement, car tout chez eux est de l'ordre de la pose et aucune beauté ne se dégage de leur vision. Alors pourquoi ça marche avec Bonello ? Déjà, on sent chez ce cinéaste une réelle admiration pour ses acteurs, ici Gaspard Ulliel. J'ai rarement vu un homme aussi désirable au cinéma. A chaque fois que Bonello pose sa caméra sur lui, il se passe quelque chose. Et la pose arty est oubliée.
Ce qui est également passionnant dans ce film, c'est sa gratuité, l'arbitraire de son déroulement. Pourquoi voit-on Saint Laurent vieux et jeune en même temps ? Pourquoi le film commence-t-il sur un flash forward ? Pourquoi le plan de la femme nue dans la rue ? Il y a sans doute des réponses à tout ça mais Bonello ne les fait jamais voir : il veut tout rendre contingent. Et c'est là sa véritable intelligence du film : il a compris qu'il n'y a rien de nécessaire à faire des films. C'est vrai, pourquoi ne pas faire un vrai job, nourrir les autres et nous-mêmes, en un mot, être utile ? Non, ce n'est pas ça être cinéaste. La mode, la chose la plus superficielle qui soit, révèle à Bonello l'essence de son travail : la contingence. Et derrière son apathie apparente, ce film est un vrai geste politique. Saint Laurent est le héros du cinéaste : c'est l'aristocrate qui lutte encore contre la bourgeoisie ("tu es le dernier" lui dira-t-on), l'inutile contre les pragmatiques, la beauté contre la laideur. Saint Laurent est aussi le grand film superficiel de cette année, comme Spring Breakers l'année dernière : deux films qui dévoilent le coeur de notre époque et son rapport à la beauté.
Devant ce film, j'ai également pensé à Hou Hsiao-hsien. Millenium Mambo m'a fait le même effet que L'Apollonide, et après j'ai vu Three Times... Saint Laurent ne vaut pas Three Times mais c'est néanmoins une grande réussite, et je dois dorénavant m'intéresser de beaucoup plus près à ce qu'a fait ce type.