Tourné en 1982, produit en 1983 et projeté sur les écrans en début d'année 1985, Blood Simple est le premier long-métrage des frères Coen. Hommage appuyé aux films noirs des années 1940 / 50, l’œuvre bascule néanmoins dès les premières images dans une dimension non répertoriée où tout est suffocant et monstrueusement lent. En quelques plans, les frangins parviennent à réinventer un Texas en pleine décomposition où l'habituel trio infernal, composé du mari, de la femme et de l'amant, explose sous les fourberies d'un détective privé aussi halluciné qu'hallucinant et ressemblant étrangement à l'infect Hank Quinlan, génialement campé par Orson Welles dans La Soif Du Mal.
Blood Simple (le titre français Sang Pour Sang a disparu depuis longtemps dans les méandres de l'oubli) n'est pas non plus qu'un simple hommage aux films d'antan qui ont certainement bercés la culture cinématographique des Coen. C'est aussi un film brillant qui n'est absolument pas un polar comme on a l'habitude d'en voir, ni un énième film noir étriqué qui ne sait plus comment utiliser des ficelles épuisées. C'est une véritable tragédie antique, inexorable, où le seul aboutissement logique est la mort sous toutes ses formes : mort de la chair et mort de l'âme. Et suivre ce trio se rouler dans l'ignominie calculée donne froidement chaud.
Le génie des Coen est celui de parvenir à faire fusionner deux histoires en même temps : celle que raconte le scénario et celle qui est créée par la mise en scène, chacune permettant de mieux mettre l'autre en valeur. Ils nous embarquent ici dans un jeu de piste fantastique, hors des sentiers battus où les personnages se trahissent, se flinguent, s'enterrent (vivants) et expriment difficilement leurs sentiments amoureux. Une atmosphère chauffée à blanc où tous les ingrédients s'harmonisent sans pour autant se mélanger. Avec de la dérision et du sarcasme qui rythment des images travaillées au rasoir dont l'esthétisme glacé apporte une couleur délibérément baroque.
Avec ce premier film, les frères Coen montrent déjà combien ils sont joueurs. Ils jouent avec leurs personnages, leur caméra, leurs spectateurs. Brouillant les cartes, mélangeant les genres et tentant des figures de style insensées tout en étant suffisamment agiles pour retomber à chaque fois sur leurs pieds. Ce désir de briser les limites d'un genre trop longtemps cloisonné peut, il est vrai, les pousser parfois jusqu'au cabotinage. Mais leur spectacle est vraiment trop éclatant pour qu'on ne s'y laisse pas prendre. Et le temps écoulé depuis a maintes fois démontré que ces deux-là sont de réels prodiges.