Malgré une intrigue limpide, chaque séquence de cette œuvre peut être sujette à interprétation, dans la mesure que l'on peut s'interroger si elle a vraiment lieu ou si elle est tout droit sortie de l'imagination du protagoniste. Pour moi, il y a quelques indices suffisamment solides... enfin, bref, je vais laisser chacun se faire sa propre opinion. Je ne vais pas imposer la mienne, mais, sur ce coup, je pense qu'une grande majorité des spectateurs auront la même thèse que moi.
Une chose qu'est sûre, que je peux catégoriquement affirmer sans ruiner l'expérience de quiconque, c'est que la tristesse règne en maître dans ce récit suivant un être solitaire qui, la quarantaine dépassée, n'a pas surmonté le traumatisme de la perte de ses parents, lors d'un accident de voiture, alors qu'il était encore un enfant.
Qu'on soit dans l'étrange, dans le fantastique, on suit un être qui a l'occasion de dire à son père et à sa mère, qui lui apparaissent à l'âge de leur mort, tout ce qu'il n'a jamais pu leur dire et inversement. En filigranes, on a aussi le portrait d'un passé tchatchérien, guère LGBT+ friendly, ce qui a enfoncé encore plus notre malheureux dans sa fragilité et son incapacité à vivre une existence normale. Oui, quand je soulignais que la tristesse règne en maître, ce n'est pas pour rien.
Et en parallèle, notre solitaire est montré comme vivant une relation sentimentale avec l'unique autre locataire de l'immeuble dans lequel il habite (symbolisme de l'isolement quand tu nous tiens !).
Épuré sur le nombre de caractères importants (quatre !), la réalisation d'Andrew Haigh sait se faire sobre, avec une bonne utilisation de la nuit et des lumières artificielles liées à celle-ci, choisit bien à propos la mélancolique chanson Always On My Mind, version Pet Shop Boys, pour accompagner et dirige parfaitement ses comédiens. Andrew Scott est particulièrement émouvant et subtil dans un rôle difficile, notamment parce que les sentiments qui animent son personnage passent souvent par les expressions du visage et la gestuelle.
All of Us Strangers est une belle et touchante exploration des démons intérieurs du présent, de leurs attaches avec cette terre fantomatique et étrangère qu'est le passé.