Ce qu’on mettre le plus en avant à propos de ce film de Walter Hill, c’est qu’il s’agit d’un excellent exemple de son approche “lean and mean” du récit, choisissant de planter deux forces opposées et d’en quelque sorte laisser les lois de la physique faire le reste. Ici, Gardes nationaux vs. Trappeurs cajuns dans un jeu de massacre hyper-tendu et atmosphérique.


Cette approche simple et directe du conflit, au cœur de nombre de ses films (The Driver, The Warriors, Streets of Fire, Trespass…), constitue l’une des plus pures conceptions du récit à l’américaine, qui envisage l'action comme principal moteur. Dans les films de Walter Hill, cette pureté de l’approche génère une iconisation immédiate des forces en présence, réduites à de pures expression de leur statut autour d'éléments immédiatement reconnaissables, et à des récits à la ligne tellement claire qu’ils en deviennent quasiment mythologiques.


Pas étonnant pour un cinéaste qui s’inscrit dans une tradition presque entièrement tournée vers l’iconisation et la mythification de l’Histoire américaine, notamment à travers les westerns, un genre sur lequel il est lui-même revenu plusieurs fois. Mais même dans ses films qui prennent place à l'époque contemporaine, il iconise ses personnages, les déploie comme des archétypes et des symboles de cultures plus larges, s'opposant les unes aux autres au cœur de grandes villes modernes, comme un mythe s'écrivant déjà au cours de son existence plutôt qu'à postériori. Des mythes contemporains en somme, déjà absorbés par la culture et le cinéma.


Ces mythes contemporains et ces figures archétypales sont, par leur simple expression, facilement rattachables à des sens métaphoriques, puisque c'est la logique qui semble articuler tous les cultures du monde, surtout les plus primaires. Ici, l’embourbement de gardes nationaux dans les marais de Louisiane, traqués par les locaux qui réagissent agressivement à leur présence elle-même agressive, peut aisément figurer celui des G.Is au Vietnam, guerre calamiteuse ayant à jamais traumatisé les États-Unis.


Mais ce récit pourrait aussi figurer l’angoisse que la nation entretient envers sa propre identité et ses propres espaces, la violence et la sauvagerie risquant à tout moment d’émerger malgré les rêves d’une frontière civilisée sans cesse étendue. C’est la crainte du rêve américain se transformant en cauchemar, de cultures trop nombreuses pour être unifiées et d’un territoire trop large pour être dominé.


Mais cela pourrait aussi figurer les rêves et les craintes de l’homme américain aspirant à un idéal de virilité, attiré par l'idée de s’accomplir dans le conflit et la violence, tout en ne sachant pas si ce qui l’attend est le salut, la destruction ou la folie. Un idéal précisément né de l’approche iconique que les États-Unis entretiennent avec leur propre histoire et qui, peut-être, commençait sérieusement à s’étouffer de sa propre toxicité dans les années 1980. D'où cette vision plus trouble de l'aventurier américain.


Bref, il y a de nombreuses lectures possibles, et c’est la force du style Walter Hill qui, en mettant à nu certains rouages culturels et sociaux, permet de réfléchir un peu à ce qui fait tiquer son pays. Les images qu’ils convoquent sont fortes et évocatrices, extrêmement simples mais pas pour autant simplistes, comme ici le marais, sorte de fange initiale dans lequel se tient un conflit primal et que le film ne quitte pas une seule fois (et qui se tient justement éloigné des espaces urbains dans lesquels il fait se dérouler ses autres mythes contemporains).


Mais quelle que soit l’allégorie qui se tient ici, ce qui est sûr, c’est qu’il y a un film tendu et nerveux qui s’y offre. C’est une tradition qui date déjà, puisque des films comme Délivrance et Apocalypse Now nous racontaient déjà la progression de plus en plus démente d’hommes dans les recoins les plus sombres d’un territoire et de leur esprit. Mais si Sans retour n’est ni le premier, ni le plus abouti du genre, n’empêche que ça reste un bon film.


Déjà, comme mentionné, il tire bien parti de son cadre riche en atmosphère, qui suinte l’inconfort et la pénibilité, en plus de participer à une ambiance tendue qui confine à l’horrifique, alors que les hommes sont massacrés un à un dans un espace qui fait peu sens spatialement et où il est donc impossible de se repérer. À cet effet, Walter Hill déploie progressivement des angles plus inattendus, comme des plongées depuis les arbres, ou bien utilise des fondus enchaînés pour casser le sentiment de progression, en plus de bien sûr utiliser le hors-champ et un design sonore déroutant pour suggérer la menace.


Mais, histoire de passer du contenant au contenu, la tension est aussi servie par la galerie de personnages, qui se révèle être autant une menace pour elle-même que toute entité extérieure. Comme dit plus haut, ils figurent tous une forme d’archétype d’écriture, entre l’autoritaire, le sensible, le vertueux, le sardonique et le cruel, mais Walter Hill sait parfaitement comment arranger ces ingrédients de base pour qu’ils rebondissent savamment les uns contre les autres. Alors que l’épuisement et le danger augmentent, le groupe se divise sur la question de savoir quelle direction emprunter, et même sur quelle marche à suivre, et ça fait des étincelles entre ceux qui s’accrochent à leur civisme et ceux qui sont prêts à se bagarrer sale.


Bref, tout ça est intelligemment construit, jusque dans les moments où la tension cède la place à la violence pure et dure et que celle-ci émerge de manière extrêmement brutale et surprenante. Et tout finit par se déjouer dans un final où les dialogues sont définitivement abandonnés, où la tension et l’action ont fini par tout contaminer et où la ligne entre civilisation et sauvagerie est définitivement brouillée par un montage extrêmement rapide qui les met toutes deux en parallèle (alors que les deux survivants croient avoir retrouvé la civilisation, ils sont en réalité au coeur de la bête).


Bref, c’est du cinéma comme on aime, qui n’oublie pas d’ajouter des nerfs autour du muscle. Ce n’est pas non plus immanquable, comme on le disait il existe d’autres exemples de la sorte dans le cinéma américain. Les thèmes sont classiques, le film est simple, pas tout à fait inattendu. Mais la barque est bien menée, et elle s’enfonce dans un cadre riche en atmosphère, alors pourquoi ne pas la suivre ? Faites juste attention aux locaux.

ClémentLepape
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le 6 avr. 2022

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Clément Lepape

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