Toucher du doigt le point de non-retour

Sayônara est de ces films/creusets capables de laisser au spectateur la liberté et le temps de s'y engouffrer. Qui se sentira disposé à accepter ce postulat vivra une expérience de cinéma inoubliable.
Alors que plusieurs centrales nucléaires sont en feu à la suite d'une attaque terroriste, Tania et son mal incurable attendent d'être évacués. Tania est une jeune femme gracile qui a pour seule compagnie Leona, androïde offerte par son père alors qu'elle était encore enfant et déjà malade.
Les deux sujets du film sont exposés : la fiction post-catastrophe et pré-apocalyptique d'une part et la vie humaine à côté de son avatar électronique d'autre part.
C'est un drame doux baigné par une image surexposée où la langueur le dispute à l'ineluctable. C'est un double drame, intime et collectif qui impose un premier plan de sereine agonie et un hors champ de fureur et de froideur administrative.
Une fois que le hors champ aura happé l'amoureux de Tania et que la fureur aura dominé sa voisine/amie, Tania et Leona se retrouveront seules.
Le drame intime est aussi domestique. Le film est construit autour d'un cadre dans lequel s'inscrivent une fenêtre, un canapé et le plus souvent, Tania dessus : Tania dort (beaucoup), Tania pleure, Tania fait l'amour. Tandis que Tania agonise, le Japon joue son propre drame. Le destin, ironique, jette ses habitants dans les affres de l'attente d'une évacuation décidée offciellement par un tirage au sort que le sous-texte du film acuse d'être soumis à un algorithme favorable aux possédants.
Tania aussi attend cette décision d'évacuation comme ailleurs on attend Godot (le scénario est adapté d"une pièce de théâtre), pour passer le temps.
Leona est une vieille androïde aux jambes hors d'usage qui depuis son fauteuil roulant récite sur demande et dans n'importe quelle langue la poésie que Tania veut entendre. La présence/absence de ce robot au visage impassible comme la bonté apporte au film une quiète étrangeté. Hirokasu Kore-Eda dans Air doll (2009) donnait à voir l'humanisation des poupées gonflables dans une fable à la poésie désespérée, ici Fukada fait de Leona un objet à la mémoire aussi infaillible que sensible. C'est elle qui conclura le film dans une scène extraordinaire où la beauté d'une floraison apparait comme promesse d'éternité mais aussi éphémère épiphanie.
Le film serait simplement cela, il serait bien dommage de passer à côté.
Il y a pourtant une scène passée sous silence qui à elle seule vaut mille fois le déplacement, à ranger au rayon des moments de cinéma qui augmentent la vie. Il s'agit d'une scène à proprement parler sublime qu'on ne peut dévoiler sans la dévoyer.
Dans le cadre matriciel cité plus haut, Tania telle une Olympia devenue vanité, imprimera votre rétine pour très longtemps. Dans un procédé qui combine accélération temporelle et immobilité, Fukada filme une forme d'obscénité sidérante. On se dit que décidément l'art cinématographique est fort et l'artiste puissant quand ils conjuguent métaphysique et esthétique.
"La mort, pour me tuer, aura besoin de ma complicité" écrit Marguerite Yourcenar dans Feux.
Ce film, pour vous stimuler, a besoin de la votre.

Fx_Thuaud
9
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le 5 juil. 2017

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Fx_Thuaud

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