Quand je mets la note de 10, c'est en général davantage parce que c'est un immense coup de coeur que parce qu'il les vaudrait concrètement. Ceci étant dit, vaut-il beaucoup moins ? Rien de moins sûr.

Ce School on Fire est une claque monumentale, pinacle de la représentation du pessimisme ambiant de la société hongkongaise de l'époque. Il est l'un des ouvreurs de bal de la Catégorie III et, si souvent cette classification sera le prétexte à de la pure bisserie d'exploitation, ce film est un brulot dépressif et politique qui fait état d'une société hongkongaise totalement paumée et déliquescente.

Il est souvent dit qu'il s'agit d'un film sur la gangrène que constituent les triades dans la société et sur la jeunesse. Mais à mon avis, la délinquance et la mafia sont moins une cause qu'une conséquence d'une société qui s'est effondrée sur elle-même et dont les piliers centraux (l'éducation et la justice) se sont écroulés, livrant tous les protagonistes à eux-mêmes dans une sorte de jungle urbaine qui semble complètement abandonnée.

Si la justice, impuissante, est un thème absolument central de School on Fire, c'est bien la faillite du système éducatif, censé représenter une porte de sortie pour une jeunesse précaire qui en est la clé de voûte.

Car oui, c'est un film sur la précarité. L'entièreté du métrage se déroule dans un quartier de Kowloon, citadelle ayant échappée pour des raisons politiques à toute réelle juridiction jusqu'à sa démolition en 1993. Ainsi, à l'image de certaines banlieues occidentales, on y trouve une population livrée à elle-même, contemplant toutes sortes de trafiques dans un cadre urbain anarchique, et dont à nouveau, l'école devrait constituer un idéal de sortie. Ici il n'en est rien, et face à l'échec du système, la délinquance et la prostitution sont les seuls moyens de survie, chapeauté par les triades.

Le constat est brûlant de noirceur tant tout ce qui fait l'innocence des protagonistes principaux est bafoué et réduit à néant. Là où le professeur, magnifiquement interprété par Damian Lau aurait pu représenter ce dernier petit bastion d'espoir, c'est tristement que l'on constate que lui aussi abandonne, totalement impuissant fasse à la brutalité ambiante.

Le dernier act, d'une violence inouïe, a une fonction uniquement cathartique. Il ne contrebalance nullement avec le dépressif intégral du reste. Tout dans l'élaboration du récit nous emmène progressivement vers ce point de non-retour (pourtant déjà franchi maintes foi auparavant), dans un chaos qui fait office d'exutoire pour le spectateur et les personnages, tant malmenés jusque là. Il ne s'agit donc en rien d'une résolution, mais d'un cri de rage ultime.

Cette dernière demie-heure est un bijou de cinéma, formel et narratif, mais il faut s'accrocher car c'est éprouvant.

Le génie du film se situe pour moi précisément ici. C'est l'articulation entre la montée progressive d'un sentiment d'injustice et de colère ressenti par le spectateur, et l'explosion paroxystique finale de cette dernière, ce qui n'a rien d'enthousiasmant en soi, mais qui est totalement curateur. La situation est tout aussi pourrie au départ et à l'arrivée, mais on aura pu crier sa fureur en dernière instance.

Tous les acteurs sont incroyables de vérité, même parmi les plus plus jeunes (la tête à claque de Roy Cheung, mon dieu), ce qui participe grandement à la mise en scène viscérale de Ringo Lam. Cette dernière tient de la prouesse tant il gère bien les espaces, dans des intérieurs souvent exigus. Et quand il y a du mouvement, on retrouve toute la nervosité et le savoir faire hongkongais, y compris dans son montage, qui comme rarement ailleurs sait montrer les impacts.

Alors comme souvent, beaucoup de baston et de coups de tatane glorieusement chorégraphiés. Quand il ne s'agit pas d'un pur film kung-fu ou d'un pur actionner, les chorégraphies sont souvent moins grandiloquentes (terme utilisé sans aucune médisance, cela va de soi), dans un souci de réalisme évident. Mais on reste dans un film HK, donc cela reste très chorégraphié, et avec la caméra portée aux tripes par Ringo Lam, c'est tout bonnement excellent.

La musique n'est pour une fois pas totalement en reste, sobre et assez bien adaptée.

Je termine par un petit bémol, qui n'en est pas un à mon goût, mais je me mets à la place de spectateurs peut-être non aguerris, ou non définitivement converti au cinéma HK.

Il y a souvent dans le cinéma hongkongais une sorte de littéralité. C'est à dire que l'on va montrer là où on aurait habituellement suggéré. Je prends pour exemple le suicide en moto de l'amie de l'héroïne. Cette petite séquence est une course poursuite, avec des moyens de mise en scène similaires à une séquence d'action, et finalement un crash de la moto contre un camion avec explosion, et mannequin qui vole. Bon, face à la gravité d'une telle scène, était il nécessaire de tout montrer, du moins de cette manière ?

Cette littéralité assez récurrente peut, je l'admets, évoquer un certain manque de subtilité pour aborder certaines situations ou faire passer un message. Mais c'est aussi cette manière de faire très différente qui donne tout son sel à ce cinéma unique. Et, en l'occurence, cela participe au tempérament entièrement viscéral et à l'aspect coup de poing du film de Lam. Puis, début de la Catégorie 3, les chevaux étaient lâchés, il faut le dire.

En conclusion, je ne saurais que trop recommander ce petit bijou cinématographique, en premier lieu à tous les HKphiles ne l'ayant pas encore visionné. A tous les curieux avides d'un cinéma viscéral, qui ne tourne pas autour du pot. A tous les enthousiastes de la technique, car une fois de plus c'est formellement impeccable. Et aussi à ceux qui auraient un intérêt à comprendre le contexte social de cette époque à Hong Kong. Gros, gros coup de coeur pour ma part, qui fait à l'instant irruption (facilement) dans mon top 10 voire top 5 HK.

P.S.: j'ai eu la chance de le regarder en streaming (car introuvable sinon), en bonne qualité et vostfr bien entendu, mais il y a à quelques moments du films des inserts dans le montage de courtes scènes en 4:3 (très peu nombreux), de qualité médiocre avec sous-titres anglais, visiblement provenant d'une autre version. Quelqu'un sait si il y a eu plusieurs montages ?

Gerwin
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleures pépites méconnues du cinéma et Les meilleurs films hongkongais

Créée

le 4 déc. 2023

Critique lue 14 fois

Gerwin

Écrit par

Critique lue 14 fois

D'autres avis sur School on Fire

School on Fire
Ivan-T-K-M
6

Quand Hong Kong fait face à l'anomie c'est terrifiant ...

Que voulez-vous que je dise ? C'est juste excellent ... School on Fire est vraiment éprouvant, c'est un film très viscéral. Ce métrage insère le spectateur dans des situations dont on ne peut...

le 7 févr. 2021

8 j'aime

2

School on Fire
William-Carlier
10

Jeunesse désemparée

School on Fire résonne comme la parfaite synthèse des deux films précédents de Ringo Lam, l'action restant concentrée au sein de l'école, mais en étant également décentrée, jusqu'aux rues et bars à...

le 10 janv. 2022

3 j'aime

Du même critique

Tokyo Fist
Gerwin
9

Je souffre donc je suis

Il me fallait du viscéral dernièrement, quelque chose sans concession et jusqu'au boutiste. Malgré les promesses subversives de Tokyo Fist, j'ai eu d'abord du mal à passer outre l'antipathie qu'avait...

le 6 févr. 2016

7 j'aime

1

Night Call
Gerwin
8

L'arroseur arrosé

Avant de le voir, j'avais tout de même quelques appréhensions. J'avais vu la bande-annonce, et hors-mis un Gylenhaal pleins de promesses, le côté marketing "par les producteurs de Drive" m'avait...

le 26 nov. 2015

7 j'aime

Blue Valentine
Gerwin
9

L'amour ne suffit pas

Non non, je te jure j'adore les flingues et les gros muscles de Schwarzou ! T'en vas pas, je suis super viril en fait, c'est juste, enfin je sais pas ce qu'il s'est passé, j'étais malade je crois et...

le 27 oct. 2015

6 j'aime