Le film commence brutalement sans remise en contexte et considère que nous connaissons déjà le Dr. King et son combat pour les droits civiques. La scène de l’explosion en début de film est à couper le souffle.
Rapidement on comprend le dilemme du Dr. King. Il doit choisir entre soit laisser les manifestants se faire tabasser afin que les médias s’intéressent à leur action, filment le massacre et que le public fasse pression sur le président pour changer les lois, soit protéger ses adeptes en leur interdisant de protester. La critique du public et des médias est donc acerbe, il faut du sang et du drame pour que les choses bougent. On perçoit le tiraillement du leader coincé entre la possibilité d’utiliser ses fidèles pour la cause afin de faire progresser les mentalités ou empêcher le bain de sang. Cette interrogation pose avec acuité le problème séculaire de « la fin justifie-t-elle les moyens ? ».
Du coup le personnage du Dr. King n’est pas trop glorifié et on peut plus facilement s’identifier à lui parce qu’il est en proie au doute permanent. Montrer un Dr. King humain et terrifié par les choix qu’il pose est une intention de réalisation intelligente car on prend parti pour sa cause et on adhère mieux à son combat qui est celui de toute une vie. Chaque seconde de son existence est influencé et imprégné jusqu’à la moelle par cet engagement. Il ne réfléchit plus qu’à travers lui. Pour preuve, il fait le choix de manifester à Selma car il sait que les choses risquent de déraper dans ce petit patelin du sud, qu’on devine rempli de membres du Klan et profondément raciste. Malheureusement l’Amérique profonde a peu changé.
Les stratégies militantes décrites sont très réalistes et très concrètes. Elles permettent au spectateur de mieux comprendre les actions syndicales d’aujourd’hui et d’autrefois. En effet malgré que cette histoire soit concrètement très américaine, le symbolisme de son message parle à tout et à chacun et fait écho à toute une série d’événements beaucoup plus récents. J’en donne pour exemple, même si les valeurs défendues ne sont pas du même niveau, les actions syndicales contre les mesures du gouvernement belge en décembre 2014. C’est un exemple typique de bras de fer entre les militants et le politique qui utilisent la colère populaire pour faire pression les uns sur les autres. C’est donc un film historique mais terriblement actuel. D’ailleurs la reconstitution des faits est minutieuse et très soignée.
La réalisatrice gagne mon estime pour trois raisons. Premièrement elle a voulu mettre en avant le rôle des femmes dans le combat pour les droits civiques. Elle nous dresse un portrait flatteur de Coretta Scott King (la femme de Martin) en la présentant comme la pierre à la base de l’édifice que constitue le personnage du Dr. King. Nous sommes rapidement en empathie avec elle. Nous comprenons et partageons son amour et ses inquiétudes pour son mari.
Deuxièmement son biopic est intéressant car, il s’abstient de nous faire un résumé de la vie du Dr. King en commençant par son enfance et en terminant par sa mort. Non, on est directement plongés dans un événement marquant de son combat. C’est par cet angle d’attaque que la réalisatrice nous dresse le portrait du Dr. King. C’est plus intelligent et plus fort que le schéma classique, académique et très scolaire, du genre Mandela : un long chemin vers la liberté ou Ray. Du coup le film titille notre curiosité et nous donne envie d’aller nous renseigner sur le sujet.
Troisièmement ses acteurs sont tous de très bonne facture avec une mention spéciale à la fois pour le gouverneur Wallace incarné par Tim Roth qui a pris un accent du sud à couper au couteau et à Tom Wilkinson qui a relevé le pari difficile d’incarner le président Lyndon B. Johnson.
J’ai tout de même deux réserves à émettre. Premièrement c’est un peu longuet, c’est dommage qu’aujourd’hui un film soit considéré comme léger s’il ne fait pas deux heures. Si c’est un grand film, il doit obligatoirement durer longtemps. Le problème c’est que tous les réalisateurs pensent faire de grands films donc tous les films ou presque durent trop longtemps. Or c’est parfois plus difficile et cela demande plus de talent de faire un bon film court, qui ne s’épanche pas dans des péripéties inutiles. Deuxièmement, je regrette qu’il y ait un peu de prosélytisme dans son discours. Je trouve les références religieuses un peu trop présente mais bon c’est l’époque et le contexte qui le veut.
Je terminerais en disant que Selma est un film ouvert à chacun parce qu’il offre une multitude de points de vue. Et je citerais à ce propos le producteur Jeremy Kleiner : "On peut avoir plusieurs lectures de Selma : expliquer comment nos gouvernements peuvent être contraints par le peuple à prendre des décisions morales ; montrer un militantisme sans glamour avec un souci de réalisme brut ; célébrer le sens stratégique d’un mouvement luttant pour l’égalité des droits ; ou bien rappeler l’histoire de la lutte contre une doctrine bien enracinée, celle de la suprématie blanche. Selma est une œuvre complexe qui ne s’appréhende pas d’un seul tenant : elle fait écho aux multiples aspects de notre histoire."
Allez le voir !