La première saison m'avait conquis par ses qualités techniques, sa photographie et son casting impressionnant, riche et varié. La seconde m'avait aisément happé : l'intrigue se resserre brusquement, la série gagne en vitesse sans perdre aucune des qualités précédemment listées, le rythme devient trépidant, servi par une musique grandiose qui allie agréablement musique d'ambiance instrumentale et musique électro. Enfin, l'annonce de la non-reconduction de la série m'avait comme assommé : comment osait-on annuler une telle oeuvre de l'art contemporain? Et pourtant... cet épisode final est chargé d'une telle émotion, d'une telle force, d'une rage et d'un amour immodéré qu'il jaillit et fait figure de climax après une série qui ne va que crescendo. Je n'imagine pas une autre fin qui eût été aussi percutante.
Alors bien sûr, il y a des détails sur lesquels on glisse un peu rapidement: comment Kala s'arrange avec ses histoires d'amours? Comment fonctionne le psycélium? Qui est cette reine de Naples? Qui est le Président du BPO? Quels sont leurs motifs? Qu'est-ce que la Lacune? Mais pourtant, et c'est là tout le génie des Wachowski, tout tient debout. D'autres détails de ces deux saisons deviennent soudainement lourds de sens, l'action avance, s'emballe et explose dans un final retentissant.
Bien sûr, il y a une très longue analyse à faire sur la contradiction intrinsèque d'un cycle si ouvertement axée sur l'amour inconditionnel et la tolérance où, malgré ça, tout le monde se tire dessus et joue, parfois, à qui à la plus grosse pétoire. Car si les personnages peuvent être transporté au-delà des barrières culturelles et sociales, il reste un clivage manichéen pour ainsi dire inébranlé : le Bien et le Mal, les "Gentils" et les "Méchants". Pourtant, l'intrigue secondaire autour des personnages d'Angelica et de Jonas nous permet d'imaginer que les scénaristes ont volontairement écarté cette piste de leur message, et nous murmurent "nous aurions pu le faire, mais ce n'était pas notre but". Ce qui met encore en avant le thème principal : on ne peut pas aimer tout le monde, mais tout le monde peut être aimé. L'amour prend alors la forme d'un sentiment libérateur et social, et non d'une promesse béate et aveugle ou d'une dévoration fusionnelle de l'Autre jusqu'à la double destruction.
Bien sûr, on peut ne pas apprécier beaucoup d'autres choses : l'érotisme célèbre de certaines scènes qui méritent amplement le classement -16 de Netflix (voir plus), le débordement des normes, l'influence high-fantasy et ses traits à la fois magiques, épiques et communautaristes, l'idée de devoir avaler plus d'une journée entière de film, ou encore le romantisme mièvre de certains plans.
Mais au centre de ce cinéma à très grand budget (mérité), une vision traverse tout, comme la flèche que l'on n'évite pas trempée du poison du désir : celle d'une passion qui déborderait tout, qui crèverait les barrières. Toutes les barrières : culture, tradition, règles, sexes, genres et même attirance. Sense8 : Amor Vincit Omnia résonne donc comme un grand cri d'Amour, de cet amour qui se vit comme un don inconditionnel de soi, comme une acceptation pleine et entière de l'Autre, des autres, sans jugements ni critique.
Difficile, quand on vient de finir Sense8, de ne pas être soi-même débordant d'amour, et ne pas rêver que ce que nous montrent les Wachowski (au-delà des supers pouvoirs) nous soit également accessibles.