Serpico est une jeune recrue de la police qui en veut. Son idée est de se mêler à l'homme de la rue, et pour cela il va entretenir des looks improbables. C'est que Serpico, en se mêlant à l'homme de la rue, se retrouve dans une autre temporalité que la police, toujours rigidement arquée sur ses principes alors que les années 70 battent leur plein.

Seulement, en voyant le système de l'extérieur, on en repère mieux les défauts, et là en fait de défaut, c'est toute l'horreur d'une police corrompue jusqu'à en considérer la chose comme normale qui apparaît, rejettant comme suspect tout flic qui refuserait de palper sa part. Serpico va s'en rendre malade, tellement malade que plus le film avance plus il a du mal à s'adresser aux humains, préférant sa souris, son chien ou son perroquet. Devant l'inanité de ses efforts, ses animaux seront son seul refuge, car le poids est trop lourd à porter pour son amie.

Serpico, épaulé par les rares flics intègres qu'il aura rencontré, va devenir une nouvelle sorte d'infiltré : non pas auprès des truands afin de démonter leurs filières, mais bien auprès des flics de quartier, qui s'avèrent, et de loin, les pires truands du coin. Bien sûr, s'il est repéré comme mouchard et comme balance, sa vie sera en jeu. Aussi se retrouve-t-il à jouer un jeu dangereux : il doit se camoufler pour préserver son secret. De cette idée découlera une jouissive et ludique avalanche de costumes, allant parfois jusqu'au loufoque d'une fausse barbe de rabbin. Pour se camoufler, il faut se faire remarquer : ainsi chacun peut voir qu'il n'y a rien à cacher.

Serpico fait preuve d'une glaçante inversion des valeurs, ou celui qui est considéré comme pourri l'est car il est le seul à oser rester honnête. La barbe d'Al Pacino, de plus en plus fournie, ira jusqu'à évoquer une évidente métaphore christique : Serpico se sacrifie pour racheter les péchés de la police. Il n'était sans doute pas nécessaire d'aller jusque là, mais après tout, nous sommes aux U.S.A., c'est donc un sujet auquel il faut s'attendre.

Le film cadre aux plus près les personnages, donnant une grande importance à leurs gestes, adoptant l'esthétique d'un documentaire. De ce que j'ai vu de Sidney Lumet (6 ou 7 films), il me semble qu'il privilégie la forme la plus adaptée à son sujet, de sorte qu'on pourrait estimer que son style, c'est de n'en pas avoir. Il s'adapte pleinement à son sujet, là où un cinéaste au style plus marqué distordra son sujet pour l'adapter à ses propres obsessions (il n'y a qu'à voir, aujourd'hui, la filmographie d'un Tarantino ou d'un Scorcese pour s'en rendre compte).

L'esthétique documentaire de Serpico renforce l'impression glaçante que le film produit. On est moins enclin à se rabattre sur l'exagération qu'on pourrait reprocher à un film de fiction. Quant à la nécessaire empathie que nous éprouvons pour le personnage principal ; Al Pacino, comme Sidney Lumet, passe d'un style vestimentaire à l'autre selon les besoins du moment : on peut donc l'imaginer comme alter ego du cinéaste. D'un style à l'autre, demeure l'intégrité.

BigDino
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le 15 sept. 2024

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