Lonely are the Brave est certainement l'un des plus beaux films américains et sur l'Amérique qui puissent exister, reposant sur un dispositif simple, mais d'une efficacité redoutable et d'un tragique implacable. Sur le même motif que C'era una volta il West, à savoir la fin de l'Ouest sauvage américain avec l’arrivée de la modernité et du capitalisme, le film de David Miller est encore plus fort, plus impitoyable et mélancolique, avec une exécution lavée de toute lourdeur ou d’effets mélodramatiques.
Le principe de l'intrigue est simple : c'est l'histoire d'un cow-boy dans les années 1960. C'est cet oxymore qui constitue à lui seul tout le nœud de la tragédie. On suit un homme, brillamment interprété par Kirk Douglas, qui ne rêve que de liberté, pour qui la nature n'appartient à personne et les frontières n'ont pas de sens, et qui veut juste vivre tranquillement comme il l'entend, avec seulement son fusil, sa jument et lui-même, comme le chante Dean Martin dans un autre grand western. Forcément, aucun voyage temporel n'est possible et l'issue d'un tel scénario ne peut être que malheureuse.
Difficile de savoir exactement qui de David Miller ou Kirk Douglas est le génie derrière cette œuvre. Si le second n'est pas crédité comme réalisateur, il est certain qu'il est à l'origine du projet, que c'est lui-même qui l'a produit, et de fait, dans le système du cinéma américain, il devait avoir beaucoup de pouvoir sur le film, dont il aurait, paraît-il, lui-même tourné une partie, insatisfait du travail de Miller. En tout cas, le résultat est d'une maîtrise exemplaire, épique et profondément mélancolique à la fois, à l'image du magnifique titre qui lui a été trouvé. La réalisation se veut proche du documentaire, dans un noir et blanc épuré, et n'hésite pas capter quelques moments authentiques, notamment les protestations du cheval en train de se faire seller en début de film. Il retire son tapis de selle pendant que Douglas regarde ailleurs, dévore des yeux la pomme que son maître a dans la main, on sent immédiatement qu'il se passe quelque chose entre les deux personnages. Aucun plan n'est en réalité laissé au hasard, et le metteur en scène, quel qu'il soit, a un vrai talent pour filmer les décors naturels et le cheval qui les parcourt.
Le réalisme du film rend l'action impressionnante sans en faire trop : une bouteille projetée à la figure de Douglas, qui explose à quelques centimètres de lui, un cheval qui tente de gravir une pente à 45 degrés, un hélicoptère endommagé qui manque de s'écraser au milieu des montagnes escarpées, mais remonte de justesse à la dernière seconde ; inutile de chercher à faire des plans d'une grande complexité, pour peu que l'on reste à hauteur d'homme et que l'on capte les moments de bravoure avec sobriété. La mise en scène accompagne l'action sans être tape-à-l'œil, et une profonde tristesse se dégage de ces moments qui sonnent si vrais, de ces paysages de western défigurés par l'industrialisation et les ravages du capitalisme, et des personnages qui sont remarquablement bien écrits et interprétés. Douglas joue un cavalier courageux, mais plutôt insouciant, que la réalité finira par rattraper, et Walter Matthau le shérif qui le poursuit. Mais ce dernier aussi est plutôt sympathique, il fait son boulot, essaie de le faire bien, mais il sourit avec une certaine admiration et mélancolie quand il voit qu'il a perdu la partie ; c'est là aussi que le film est cruel, en nous donnant un instant l'espoir que la fin sera heureuse. Il n'y a donc pas gentil et de méchant dans ce film, les seuls antagonistes sont le temps et la société.
Le moment le plus fort est sans doute celui où le protagoniste hésite à se séparer de son cheval. Il ne s'agit pas du tout de faire du larmoyant dans le genre publicité pour la SPA, mais d'un simple échange de regard entre une jument et un homme entre lesquels un lien fort a été établi, et où ce dernier comprend que continuer seul, ce serait déjà renoncer à rester un cow-boy, que son cheval, c'est tout ce qu'il a et que c'est avec lui que ça doit se terminer. Tout est dit sur le personnage de Douglas en un simple champ-contrechamp.
Lonely are the Brave est donc une grande tragédie sur l'Amérique, une quête désespérée pour un pays qui n’existe plus, qui n'a peut-être même jamais existé, et un exemple de justesse qui dépasse même le roman d’Edward Abbey dont il est adapté.