Premier film à sortir de Film Workshop, société de production fondée par Tsui Hark lui-même afin de s’autoriser une indépendance financière et artistique totale dans son travail, Shanghai Blues augure toutes les fantaisies auxquelles nous habituera par la suite le réalisateur hongkongais.
Déjà imprégnée par la culture chinoise et ayant une dimension historique non négligeable en évoquant les années de l’après-Seconde Guerre mondiale, l’œuvre souffre cependant d’un problème de rythme et d’un scénario trop simple (un triangle amoureux) pour pouvoir captiver le spectateur sur la durée comme le feront ses longs-métrages suivants. C’est en fait un mélodrame romantique (avec quelques interludes musicaux) qui enchaîne les gags – heureusement très drôles –, sans grande prétention serait-on tenté de dire.
Si l’on sent déjà poindre le style visuel inimitable de Tsui Hark dont seront empreintes ses œuvres majeures (The Lovers, Dans la nuit des temps), on ne peut s’empêcher de relever que Shanghai Blues accuse le coup des années en proposant une photographie pas toujours nette et des lumières qui manquent souvent de contraste. La mise en scène, formaliste, n’a pas encore le côté très enlevé des futures productions du réalisateur et saurait même être taxée par moments d’académique (diantre !).
Les envolées lyriques chères au cinéaste sont malheureusement trop rares et maladroites dans ce film pour venir combler le vide insistant du scénario dans son ensemble. Un problème accru par le manque de charisme des protagonistes, lesquels ne semblent pouvoir exister qu’en surjouant leur rôle de façon agaçante. Il manque la classe naturelle d’une Charlie Yeung ou la beauté fragile d’un Nicky Wu pour donner à cette histoire l’embolie tant attendue qui n’arrive malheureusement jamais.
Un bon moment, qui pourra séduire sans problème de par son exotisme très prégnant, mais auquel il manque le grandiose – le « baroque » – et les excès dans l’histoire et la mise en scène dont fera preuve par la suite Tsui Hark et qui font d'après moi tout le charme de son cinéma atypique.