Tout commence et finit en prison. Mais entre temps pour Zac, un des deux personnages principaux, tout a changé. Il a trouvé l’amour et paradoxalement, une forme de liberté.
C’est ce qui m’a tellement séduite dans le film de Jean-Bernard Marlin, cette façon de représenter le réel sans l’édulcorer ni tomber dans le déterminisme social. Les personnages de Zac et Shéhérazade portent des réalités lourdes, qui existent en dehors d’eux, comme la prostitution ou le fait d’avoir connu la prison pour mineurs. Mais ils ont aussi une personnalité propre très forte. Ils sont Zac et Shéhérazade, et personne d’autre. Je pense que je me souviendrai longtemps de la façon dont l’espièglerie de l’un répond à la malice de l’autre, de comment elles s’unissent en une turbulence tapageuse irrésistible.
Sans doute parce que le réalisateur aimait tellement Zac et Shéhérazade, et qu’il a su mettre tout cet amour dans son film, je les ai aimés aussi. Sans doute parce qu’il n’a jugé aucun des autres personnages, pas même les plus blâmables, tous les rôles m’ont semblé parfaitement justes. La grâce dans l’imperfection naît aussi des images, de leur grain fort, à contre-courant de ces esthétiques si lisses qu’elles finissent parfois par faire ressembler la peau à du plastique et les films, à des jeux vidéos. Les mouvements de caméra, qui multiplient les zooms abrupts, semblent dotés de la même énergie indomptable que les personnages.
Ce que j’ai trouvé passionnant, c’est la façon dont le réalisme et les thématiques sociales du documentaire sont associés à la puissance d’exaltation de la fiction. Parce que Shéhérazade, c’est avant tout une histoire d’amour. L’amour de Zac et Shéhérazade est comme la lumière du film. Il jaillit de partout, même des endroits les plus tristes, en longues traînées qui inondent et colorent l’écran. Ce sont des enfants qui la nuit, sucent leur pouce et ont peur du noir et, le jour, vendent leur corps ou tirent sur leur ami d’enfance. L’un dans l’autre, ils trouvent une voie alternative que ni les mères, ni les juges, ni les grands frères du quartier ne semblaient capables de leur offrir : la voie de leur destin à eux.
A mes yeux Shéhérazade est un petit condensé de ce que le cinéma peut offrir, à la fois éveil par rapport à la réalité et échappée de cette réalité, élévation. Dans des trajectoires particulières ce film dessine une histoire universelle. Il raconte ces moments (qui surviennent souvent après les crises, les dégringolades) où la vie nous place face à deux chemins. L’un est celui qu’on connaît déjà, souvent trop bien. L’autre est totalement neuf, insoupçonné jusqu’à son apparition. Il nous propose un printemps.