A l’heure où les femmes se battent dans le monde pour le droit d’avorter, Wang Xiaoshuai nous parle d’une femme à qui on a ouvert le ventre de force.
Il ne s’agit pas seulement du corps des femmes mais du corps social tout entier, dont l’intimité a été bafouée par les politiques totalitaires menées en Chine après la révolution culturelle. Le logo très officiel de l’administration chinoise du cinéma, petit dragon jaune sur fond vert qui apparaît avant le film, vient paradoxalement renforcer ce qu’il a censuré. Comme un pied de nez.
Des pieds de nez, Liyun et Yaojun se gardent bien d’en faire. Ce couple simple et discret ne demandait rien d’autre qu’une vie familiale tranquille. Et c’est avec une résilience héroïque qu’ils continuent à marcher, après chaque épreuve, sur les décombres de leurs modestes voeux brisés. Guidés par une philosophie instinctive ; celle de prendre le parti des vivants plutôt que celui des morts. Même si cela implique de pardonner ceux qui sont liés à leurs malheurs.
Pour comprendre toute la dimension tragique de l’avortement forcé, il faudra savoir attendre la fin du film car pendant ces trois heures de drame familial, Wang Xiaoshuai distille les révélations à un rythme qui lui est secret. Dès lors qu’on croit comprendre, on ne comprend plus tout à fait, et dès lors qu’on croit se perdre, il nous découvre un nouveau chemin. Un travelling dévoile le revers du décor d’une scène déjà vue et tout prend un nouveau sens. Le point de vue d’un personnage secondaire passe au centre, et c’est une toute nouvelle histoire qui nous est racontée.
En jonglant avec la chronologie, les points de vue et le montage, le film tisse un commentaire sur le cinéma lui-même. Comme Magritte peignait « ceci n’est pas une pomme », Wang Xiaoshuai nous dit « ceci n’est pas la vérité ». Tout ce qu'on voit à l’écran est partiel, limité par un cadre, un angle, une perspective… Et pour nous le prouver définitivement, il laissera un mystère intact. A nous de choisir une réponse. Comme à chaque instant qu’on regarde un film, en fait.
Une petite ombre à ce grand portrait familial : la difficulté des émotions à éclore face à un film qui réunit pourtant tous les ingrédients pour être bouleversant. Trop d’ingrédients, peut-être. La longueur, le ton tout-dramatique, la complexité de la narration et de la mise en scène créent une forme de distante épaisseur, qui rend parfois les évènements plus pesants que poignants.