2h le cul vissé dans le siège.
2h les poings rentrés.
2h la mâchoire serrée.
Bref, 2h en apnée.
Bim, les lumières se rallument.
Une seconde naissance, les poumons se dilatent ; je suis bien vivant.


C'est tout d'abord un choc tellurique. Les tremblements sonores, expériences du noyau terrestre, mise en abyme de confrontations, chocs. C'est un film de frontière.
Frontière physique. Jusqu'où supporter l'atroce ? Jusqu'à voir des cadavres mutilés, démembrés et pendus à un pont ? Jusqu'à assister au terrible spectacle de 35 cadavres dans des sacs en plastiques ?
Frontière psychologique. Comment réagir ? Avec qui ? Avec quels moyens ? Légalité ? Illégalité ? La fin justifie t'elle les moyens ? De qui se douter ?
Frontière géographique ; métaphore superbe mais pas assez bien mise en scène à mon sens, du tunnel.


C'est un stress entier, un tremblement, une onde sur un cours d'eau tranquille. C'est un choc.
Celui d'un film en apparence classique mais qui vient, avec sa mise en scène simpliste et pourtant si virtuose, bouleverser les codes de cinéma et donner un aperçu gargantuesque d'un travail d'artiste au sein même d'Hollywood, preuve ultime qu'un mariage n'est jamais impossible.
Preuve ultime qu'avec du simple on fait du brillant, qu'avec du politisé on peut ne pas faire de politique. Qu'avec des stars on joue comme jamais.
On dit de Benicio Del Toro qu'il réalise ici son meilleur rôle. Je reste plus distant vis-à-vis de cette remarque ; car de toute façons Del Toro est toujours brillant, quoiqu'il joue. A mon sens c'est plus Emily Blunt, qu'on ne voie pas assez sur le devant de la scène, qui crève l'écran. En femme aussi paumée que le spectateur, elle habite tout ce qui nous retient à ce film et nous empêche d'y voir un cauchemar ; elle est notre sauveteuse, notre bouée à laquelle on s'accroche jusqu'à, dans un utlime effort final, baisser les bras et s'avouer vaincu par une réalité qui nous dépasse, insurmontable d'horreur et de fatalité.
Josh Brolin, en tongs et chemises hawaïennes, insupportablement à l'aise, machiavéliquement pervers, livre ici une partition puissante, en filigrane qui marque le film.


Mais c'est un choc interne ; un vrombissement poisseux qui sort des entrailles terrestres, de ce squelette sous-terrain, de cette colonne vertébrale où tout se joue. Sicario s'annonçait comme un choc, c'en est un. Mais sûrement moins puissant.
On retiendra bien sûr, comme exemple de la réussite totale qu'est le film, la première demie-heure où le spectateur est lancé, à la manière de l'héroïne, dans un univers dont il ne connaît ni les codes ni les enjeux.
C'est une immersion, totale, virtuose, viscérale. En caméra embarquée Villeneuve nous ettouffe. Avec un jeu de lumière merveilleux, qui joue avec les contrastes des paysages et des ambiances, Roger Deakins nous épuise. C'est éprouvant. On ne respire pas. Tant on sait pertinemment que quelque chose arrivera. On ne sait pas quoi, on en sait pas quand. On le sait c'est tout.
A la manière de Prisoners qui l'imposait déjà comme l'un des réalisateurs prometteurs de la décennie (si ce n'est plus), Sicario offre à Villeneuve d'égaler en pression et en sens léché du cadre, les pires films d'angoisses, renvoyant le spectateur à sa peur interne, celle de l'insécurité permanente en terrain hostile. Une boule au ventre qui colle à la peau.
En bon masochistes, on aimerait que la première demie heure, toute ne suspens et en croissance inquiétante se prolonge sur les deux heures du films.
Dommage.
On se perd un peu dans une histoire plus classique et bien moins brillante traversée ça et là de frissons de violence qui renvoie le spectateur à ses angoisses du début.
On pense à Michael Mann. A Kathryn Bigelow (de nombreux liens à tisser en Zero Dark Thirty et ce film) et à beaucoup d'autres.
Si bien qu'on en oublie qui est à l'origine de ce petit chef d'oeuvre.

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le 25 oct. 2015

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Charles Dubois

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